À propos des blessures de musiciens

dystonie de fonction

Dr. Teresa Dybvig et son travail dans la réhabilitation de la dystonie de fonction

Une partie très importante de ce blog est dédiée à discuter de la technique saine du piano et des divers problèmes que les pianistes peuvent rencontrer dans l’apprentissage de leur instrument.

Mais quand il s’agit de parler de technique saine et libre des blessures, il y a peu de professeures avec une vision profonde et globale des problèmes de pianistes comme Dr. Teresa Dybvig.

Dr. Teresa Dybvig est une pianiste et pédagogue américaine avec des qualités uniques. Elle est titulaire d’un doctorat en interprétation au piano. De plus, son enseignement est largement influencé par le fait qu’elle a étudié l’Approche Taubman avec Edna Golandsky et Dorothy Taubman. Dans son travail convergent également des disciplines telles que le Iyengar Yoga et la méthode Feldenkrais qu’elle a largement étudiée.

Elle est la fondatrice et directrice de “The Well-Balanced Pianist” (Le Pianiste bien équilibré), un programme d’apprentissage intensif pour les pianistes qui combine différentes approches et disciplines somatiques.

Les éléments essentiels de son approche sont les suivants:

  • La musicalité
  • Une technique de piano saine
  • Une attitude mentale saine
  • Des exercices de mouvement et de conscience du corps
  • La pédagogie et la communication

Dans son travail en tant que professeur de piano, elle se spécialise dans la réhabilitation des pianistes ayant des problèmes physiques et des blessures grâce à son expertise et sa connaissance en profondeur de l’Approche Taubman. En plus de cette spécialité, Dr. Dybvig a développé au fil des années une sous-spécialité pour l’aide et la rééducation des pianistes qui souffrent de dystonie de fonction avec un taux de réussite extraordinaire.

A ce sujet, le magazine Clavier a publié en Février 2007 un article sur ses travaux sur la réhabilitation de dystonie de fonction pour les pianistes intitulé « Moving Naturally » (Bouger Naturellement).

En plus de tout cela, le Dr Dybvig donne des conférences et des masterclass régulièrement.

La Page The Well-Balanced Pianist”

Elle dispose d’un important site Web qui se consacre à son travail éducatif. Il est riche en matériaux de haute qualité (mais en anglais): The Well-Balanced Pianist

Je tiens à mettre l’accent sur son article sur la manière la plus confortable de s’assoir au piano. C’est à mon avis le meilleur guide disponible sur Internet à ce sujet: Comfortable seating at the piano

Je souligne également cet article très complet qui parle de l’Approche Taubman: Piano Technique: The Taubman Approach 

Ceci est un autre article très intéressant montrant quelques observations au sujet de la dystonie de fonction et des mouvements involontaires des pianistes: Can retraining help pianists with dystonia play again?

Une affiche avec les mauvaises habitudes les plus courantes trouvées chez les pianistes avec dystonie et avec d’autres mouvements involontaires, ainsi que des alternatives saines (cette affiche a été présentée à The National Conference on Keyboard Pedagogy à Chicago en Août 2007): Habits Common to Pianists with Dystonia and Other Involuntary Movements

La Chaîne Youtube The Well-Balanced Pianist

Dans la chaîne YouTube de The Well-Balanced Pianist, vous pouvez trouver des vidéos sur la façon d’écrire sur le clavier de l’ordinateur et utiliser la souris en bougeant de la façon naturelle et sans risque de blessure. Les principes de bon alignement et la coordination utilisée pour jouer le piano de manière saine sont facilement applicables à l’utilisation de l’ordinateur.

Il me semble remarquable que ce matériel soit mis gratuitement à la disposition des personnes intéressées. C’est également l’occasion de voir le genre de travail subtil et respectueux du corps que peut faire Dr. Dybvig.

Typing Comfortably, Part 1: your back, sitting well, and your natural hand and forearm shape

Typing Comfortably, Part 2: your interface with the keyboard

Typing Comfortably, Part 3: the best hand and forearm movements for typing

Using the Computer Mouse Comfortably

Diary of a Return (Journal d’un retour)

Je voudrais également souligner la série d’entrées de blog que Dr. Dybvig a écrite pour la page de la faculté New School for Music Study, www.pianopedagogy.org.

Le sujet central de ces articles est intitulé « Journal d’un retour ». A la manière d’un journal personnel, ils partagent des stratégies et des méthodes d’étude pour la préparation d’un récital après avoir été un certain temps sans jouer en public.

C’est un matériel de haute qualité qui devrait plaire à tout pianiste.

Je mets ici tous les articles numérotés car ils ne sont pas trouvables de manière consécutive sur son site :

Dr. Dybvig a eu la gentillesse de prendre une partie de son temps aujourd’hui pour discuter de certains aspects de son travail pédagogique et de la rééducation des pianistes qui souffrent de dystonie de fonction.

C’est pourquoi je lui ai consacré cet article en reconnaissance de son engagement et de son travail pédagogique.

J’encourage à tous ceux qui ont été diagnostiqués ou sont intéressés à la rééducation de la dystonie de fonction dans le piano de prendre son travail au sérieux.

blessures-des-musiciens-Lang-Lang

Les grands pianistes aussi se blessent

Il y a quelques semaines, le célèbre pianiste Lang Lang a publié une déclaration sur les réseaux sociaux dans laquelle il explique pourquoi il a décidé d’annuler toutes ses activités pour une période d’un mois et demi. Voici sa déclaration:

« Lang Lang a le regret d’annoncer qu’il est contraint d’annuler ses performances jusqu’à fin juin en raison d’une inflammation dans son bras gauche. Sous recommandation de son médecin, Lang Lang prendra ce temps pour se reposer et permettre à son bras de guérir, afin de faire un rétablissement complet « .

Quelques jours plus tard, il a posté une vidéo sur son compte Facebook dans lequel il explique qu’il commence un traitement de récupération en Europe avec un grand médecin, et qu’il se sent très optimiste et impatient de commencer.

J’ai été surpris de voir que Lang Lang avait décidé de rendre public la raison de ces annulations. Pour moi, c’est un vrai geste d’humanité, de force et de caractère.

J’espère qu’il se rétablira complètement durant cette période de repos et qu’il pourra ensuite reprendre  son rythme habituel de concerts et spectacles.

Un risque élevé pour les musiciens

Malheureusement, les blessures sont fréquentes chez les musiciens. Les statistiques parlent: 60% -80% des musiciens développent un genre de blessure lié à son instrument au cours de sa vie. En outre, il convient de noter que ces statistiques ne tiennent généralement pas en compte les musiciens qui ont justement renoncé à leur carrière ou à leur profession à cause d’une blessure.

Le risque est élevé, et les blessures affectent les musiciens de toutes sortes: les professionnels et amateurs, pianistes célèbres et étudiants. La cause commune: jouer d’un instrument.

Les blessures sont un sujet tabou et les musiciens en général n’aiment pas en parler. Pour les musiciens de concert, il peut y avoir de nombreuses pressions en jeu. Qui oserait embaucher un musicien s’il y a un risque d’annulation? Parler de sa blessure peut indéniablement créer un stigmate.

Pour reprendre les mots du pianiste Gary Graffman:

« Les problèmes des mains des instrumentistes, ainsi que les maladies sociales, sont inavouables. C’est compréhensible: Pour un interprète qui est encore en activité ou qui espère revenir bientôt à la scène, il serait fou d’annoncer son handicap. Personne ne veut d’un pianiste blessé quand il y a une offre abondante de pianistes en bonne santé. Admettre ses difficultés est comme sauter, sanguinolent, dans des eaux pleines de piranhas ».

Avec un tel scénario, la décision de Lang Lang de rendre public son état me semble admirable. D’autant plus quand on sait que tant de jeunes pianistes du monde entier ont les yeux rivés sur lui.

Son message contribue à sensibiliser aux troubles musculo-squelettiques et à rappeler comment ceux-ci peuvent affecter n’importe quel musicien.

Le manque de sensibilisation aux blessures

En général, même de nos jours, il y a un manque manifeste de compréhension et de sensibilisation au problème des blessures chez les musiciens.

On ne comprend pas bien les causes qui les provoquent (on parle plus de syndrome de surmenage que de mauvais usages). On ne sait pas reconnaître les premiers signes qui peuvent les déclencher.

Il y a peu de formation et de préparation aux principes anatomiques et biomécaniques qui accompagnent une technique saine. Savoir comment jouer pour le corps et non contre lui.

En raison de ce manque de connaissances, on maintient des routines d’étude et des pratiques peu recommandables. On ne remet pas en question les aspects les plus contradictoires de l’enseignement traditionnel.

De plus, on prête fréquemment attention au côté artistique tout en excluant l’aspect physique du jeu. Alors qu’en fait, les deux aspects doivent être liés.

Beaucoup de gens ne savent pas que quand on parle de blessures, ce ne sont pas seulement des maux et des douleurs. Ces troubles, à défaut de traitement, peuvent mettre fin à la carrière d’un musicien et même lui faire perdre partiellement ou complètement l’utilisation du membre concerné. Et tout cela, sans même prendre en compte les dommages émotionnels et psychologiques que cela implique.

Néanmoins, il y a eu une prise de conscience importante au cours des dernières décennies dont nous pouvons être reconnaissants. Aujourd’hui les blessures sont un problème reconnu, qui peut être résolu s’il est traité à temps. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.

Les progrès réalisés dans la reconnaissance des blessures

Dans les années 60 et 70, très peu de gens avaient entendu parler des blessures de musiciens. Le fait qu’un musicien pouvait être blessé en jouant de son instrument était une idée assez controversée.

C’était une mauvaise époque pour surmonter une blessure. Il n’y avait pas d’information disponible sur le sujet, ni des médecins qui comprennent la nature du problème. Les musiciens qui en souffraient le maintenaient secret.

Jusqu’à ce que deux pianistes changent la façon de voir les choses en rendant public leur situation :

Leon Fleisher
leon-fleisher

Leon Fleisher

En 1964, le pianiste Leon Fleisher qui avait alors 36 ans perdit mystérieusement l’usage des doigts 4 et 5 de la main droite sur une période de dix mois. Les médecins qu’il avait été voir n’ont trouvé aucune solution. Cela l’a forcé à abandonner sa carrière de concertiste.

Dans un premier temps, il n’en a pas beaucoup parlé publiquement, malgré le fait qu’il ne cachait pas sa situation. Fatigué d’entendre que le problème était dans sa tête et pas dans ses mains, et sans espoir de jouer à nouveau, il est tombé dans une profonde dépression.

La perte de la capacité à jouer est un traumatisme d’une grande importance pour la vie de tout musicien. Fleisher l’a exprimé ainsi:

“Quand les dieux veulent vous avoir, ils savent où frapper: à l’endroit qui vous fera le plus de mal”.

Gary Graffman

En 1979, un autre pianiste célèbre, Gary Graffman, qui avait alors 51 ans, a également été obligé d’abandonner sa carrière de concertiste. La raison était la perte progressive de sa capacité à jouer avec sa main droite.

Comme il l’explique, 12 ans plus tôt il a eu un incident qui pourrait être le déclencheur. Il était en train de répéter le Concerto n° 1 de Tchaïkovski avec l’Orchestre Philharmonique de Berlin. L’instrument sur lequel il jouait était si pauvre de sonorité, que de colère il frappa l’instrument, provoquant une foulure à son quatrième doigt. Après le concert il prit quelques semaines pour récupérer, mais après cette période il avait encore mal. Il changea alors les doigtés de tous les octaves pour les jouer avec les doigts 1-3, en repliant les doigts 4 et 5 à l’intérieur de la main. Cela a donné une force supplémentaire à ses octaves. Et comme ça fonctionnait très bien, il a continué à le faire systématiquement.

Il raconte qu’il n’avait jamais réfléchi à sa façon de jouer du piano avant que son problème apparaisse. Ce n’est qu’après analyse de ses mouvements qu’il se rendit compte qu’il faisait quelque chose de bizarre avec sa main, et ce depuis longtemps.

Contrairement à Fleisher qui n’en a pas beaucoup parlé, Graffman a crié ses problèmes aux quatre vents.

En 1981 est sorti un article dans le magazine New York Times intitulé « When a Pianist’s Fingers Fail To Obey » (Quand les doigts d’un pianiste ne parviennent pas à obéir). C’est une interview dans laquelle la blessure de Graffman est décrite en détail, avec quelques données sur Fleisher et en parlant aussi des problèmes subis par Robert Schumann. Ce fut le premier article écrit dans une publication générale qui a abordé la question en profondeur.

Le monde entier a réagi. La communauté des musiciens a commencé à en parler. Et ceux qui passaient par des problèmes similaires, mais les gardaient cachés ont commencé à découvrir qu’en fait ces troubles étaient assez répandus.

Dans les années qui ont suivi, ils ont reçu le nom que l’on connaît aujourd’hui: les troubles musculo-squelettiques ou les troubles de mouvements répétitifs. Ils ont été reconnus comme des maladies professionnelles. En 1982 a émergé aux Etats Unis dans la spécialité médicale « La Médecine des musiciens », totalement distincte de la « Médecine du sport » ou d’autres formes de réadaptation et de physiothérapie.

A partir de ce moment, il a été largement admis que le fait de forcer le corps à faire un type de mouvements répétitifs non coordonnés peut provoquer un dysfonctionnement et des conséquences graves si on ne fait pas attention.

En 1986 est sorti le premier numéro du magazine américain «Medical Problems of Performing Artists », avec l’article de Gary Graffman « Doctor, can you lend an ear? » (Docteur, puis-je avoir votre attention?). Dans cet article, Graffman se lamente que dans sa recherche d’une solution il a été voir 18 médecins et a reçu 18 diagnostics différents. Il a également exprimé son espoir d’un avenir avec un regard plus ouvert à ces conditions.

Aujourd’hui, il y a des médecins spécialisés qui peuvent traiter une blessure de manière très efficace pour la guérir le plus tôt possible. Il y a aussi des professeurs spécialisés qui peuvent rééduquer les mouvements spécifiques nécessaires pour jouer du piano qui correspondent à une technique saine.

La liste des pianistes célèbres qui ont été blessés est longue: En plus de Gary Graffman et Leon Fleisher on retrouve aussi Wanda Landowska, Artur Schnabel, Ignace Paderewski, Alexander Scriabin, Ignaz Friedman, Sergei Rachmaninoff, Clara et Robert Schumann, Glenn Gould, Michel Beroff et Richard Goode.

Le message de Lang Lang était l’excuse parfaite pour parler de tout cela.

Merci à Lang Lang d’avoir contribué ouvertement à la sensibilisation et la normalisation des blessures des musiciens.

Bonne chance pour votre rétablissement et votre carrière!

Références :

Dunning, J. (1981). “When a Pianist’s Fingers Fail To Obey”. The New York Times. From: http://www.nytimes.com/1981/06/14/arts/when-a-pianist-s-fingers-fail-to-obey.html?pagewanted=all

Graffman, G. (1986). “Doctor, can you lend an ear?”. Medical Problems of Performing. Artists, 1, 3-6. From: https://www.sciandmed.com/mppa/journalviewer.aspx?issue=1153&article=1520&action=1

Mark, T. (2004). “What Every Pianist Needs To Know About The Body”. (A manual for players of keyboard instruments: piano, organ, digital keyboard, harpsichord, clavichord). Chicago, GIA Publications.

Midgette, A., Fleisher, L. (2010). “In Leon Fleisher’s book, ‘My Nine Lives,’ a pianist faces a crippling nightmare”. The Washington Post. From:  http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2010/11/24/AR2010112404224.html

Milanovic, T. (2011). “Healthy virtuosity with the Taubman Approach”. 10th Australasian Piano Pedagogy Conference Proceedings. From: http://www.appca.com.au/pdf/papers2011/Milanovic%202011%20APPC,%20Healthy%20Virtuosity%20with%20the%20Taubman%20Approach.pdf

Pascarelli, E., Quilter D. (1994). « Repetitive Strain Injury: A Compter User’s Guide ». Wiley (February 15, 1994).

PBS NewsHour. (2011). “Piano Virtuoso Fleisher on Overcoming Disability That Nearly Silenced Career”. PBS NewsHour’s Channel. From: https://www.youtube.com/watch?v=FZLvhZvO2v4

Taylor, David A. (1999). “Paderewski’s Piano”. Smithsonian Magazine. From: http://www.smithsonianmag.com/arts-culture/paderewskis-piano-164445847/

L’Approche Taubman de la technique du piano (par Therese Milanovic)

Prelude

Peu après mon 18e anniversaire, on a diagnostiqué une tendinite de Quervain dans mon pouce droit durant ma première année d’études au Conservatoire de Queensland, à l’Université Griffith. Les six semaines sans pratique prescrites m’ont paru durer une éternité. J’étais loin de soupçonner qu’il y aurait encore neuf ans de lutte à venir et que je trouverais les solutions à mes problèmes de l’autre côté du monde.

Cherchant tous les traitements possibles pour ma douleur récurrente, j’ai pris des médicaments anti-inflammatoires, j’ai eu une injection de cortisone, puis une chirurgie, d’innombrables séances de physiothérapie, d’acupuncture, d’hypno thérapie, de Reiki, d’hypnose, et de massage. D’une certaine manière je me suis battue à travers mes études de Licence. Je fus obligé de dicter ma thèse car écrire au clavier m’était douloureux; la préparation pour mon récital final fut principalement de la pratique mentale. Après quatre années supplémentaires de repos forcé au piano après avoir terminé ma Licence, il est devenu clair que je devais envisager une occupation alternative.

Puis j’ai entendu parler de l’approche Taubman par un collègue étudiant aux États-Unis. Pour donner une dernière chance à ma vie en tant que musicien, j’ai assisté en 2003 à deux cours intensifs Taubman aux États-Unis et en Italie, avec dans ma poche de l’argent emprunté et le rêve de jouer à nouveau du piano. Durant ce mois, pendant environ sept heures de cours individuels avec la professeure Taubman Teresa (Terry) Dybvig, les difficultés techniques qui avaient causé mes problèmes ont été diagnostiquées et remplacées par des mouvements sains.

Avec le recul, je suis arrivée en 2003 avec des doigts isolés et recroquevillés qui agrippaient et serraient le fond de la touche. Je tordais les poignets, j’étirais les doigts et je m’asseyais bas. En conséquence, mes bras se soulevaient pour compenser, et mes poignets étaient affaissés. Ma «musicalité» et mon «expressivité» étaient intrinsèquement liées aux gestes de l’épaule, du bras et du coude, ce qui créait de la douleur tout autour de mes épaules.

Trouver la liberté au piano fut bouleversante, même sur quelques notes jouées avec la chute. Être équilibrée dans la touche avec le doigt, la main et le bras paisiblement alignés me fit monter les larmes aux yeux. La «sensation de ne pas avoir de sensation» a été déchirante. Accompagnant mon excitation, je me sentais coupable de «trahir» mon ancien professeur en adoptant une nouvelle façon d’aborder le piano qui contredisait souvent les instructions précédentes. Ce fut également pénible de découvrir que ce que j’avais travaillé si dur à cultiver dans mon jeu était directement responsable de ma blessure.

Naturellement, il me restait beaucoup à apprendre après un mois de formation Taubman en immersion. Cependant, après avoir eu la sensation d’être entre deux mondes pianistiques pendant six mois, ce que j’avais appris aux Etats-Unis s’installa dans mon jeu. A partir de ce moment, mon jeu et mes qualités pédagogiques n’ont pas cessé de s’améliorer. J’ai terminé ma Maîtrise en interprétation et commencé à bâtir une solide réputation comme interprète, attirant des élèves de haut niveau et plus tard, un poste d’enseignant à la Young Conservatorium Griffith University à Brisbane, en Australie.

En Juillet 2007, je suis retournée aux États-Unis pour un autre mois intensif de symposia. Mes cours avec Edna Golandsky sont allés au-delà de ma compréhension initiale de l’Approche Taubman, ont ouvert mon jeu et mon enseignement à de nouveaux niveaux de sécurité, de couleur, de virtuosité et d’inspiration. Après deux années de planification, je me suis rendu à New York en Avril 2009 pour entreprendre un programme condensé afin d’obtenir la certification en tant que professeur Taubman, ce qui a constitué le travail de terrain pour ce projet de recherche.

Avance rapide jusqu’en 2014. Après de nombreux voyages aux États-Unis et des cours réguliers sur Skype, je suis maintenant au niveau Associate Faculty avec l’Institut Golandsky. Mon rêve d’être en mesure de former des enseignants australiens en Australie vers la certification Taubman est maintenant une réalité.

Je manque de superlatifs pour résumer ma formation Taubman. Mes mains ne se sont jamais senties aussi bien. Lorsque j’approfondis ma compréhension de l’approche Taubman, il en va de même pour ma compréhension de la relation indivisible entre l’art et le savoir-faire physique, qui permettent de faire de la musique de manière convaincante. L’Approche Taubman a complètement transformé mes façons de jouer et d’enseigner.

Brève Introduction à l’Approche Taubman

Contexte

Malgré les progrès de l’analyse biomécanique au cours du dernier siècle, les connaissances techniques sur la façon de jouer l’instrument ont été transmises à travers les générations sans véritable remise en question. Les pédagogues enseignent souvent de la même manière dont on leur a enseigné, et de la même manière dont leurs enseignants eux-même ont appris, en développant leur propre approche par essais et erreurs. Ces attitudes pédagogiques sont le résultat d’une tendance à analyser la technique du piano en se basant principalement la perception visuelle du jeu, avec peu de compréhension des principes anatomiques et biomécaniques sous-jacents. Comme Taubman l’a indiqué, «Nous avons une tradition du ouï-dire … Dans notre profession, l’étude scientifique a été minime, et même ce petit peu a été fréquemment négligé». L’approche analytique du piano que Taubman a apportée était donc révolutionnaire pour son époque.

Origines

L’approche Taubman a été développée au cours de cinq décennies par la pédagogue basée à Brooklyn Dorothy Taubman (1918- 2013). Ce n’est pas une méthode, mais plutôt «une approche globale de la technique du piano qui permet un moyen ordonné et rationnel de résoudre les problèmes techniques. Non seulement cette approche a produit des pianistes virtuoses, mais elle a également obtenu un taux de réussite extraordinaire pour la réhabilitation des pianistes blessés, dont la plupart joue à nouveau».

A côté de développer «la maîtrise et la facilité» dans le jeu, l’approche Taubman offre des outils pour comprendre et enseigner «une expression artistique complète» en aidant les pianistes à atteindre leur « plus haut potentiel en tant qu’interprètes. »

Dans un premier temps, la motivation de Taubman était de découvrir les secrets de la technique virtuose pour aider les pianistes doués à réaliser leur potentiel. Elle a interrogé le «nombre effrayant» de pianistes dans la douleur, y compris des amateurs qui pratiquaient relativement peu. Taubman s’est demandé comment les enfants prodiges peuvent intuitivement jouer le répertoire virtuose avec les mains minuscules, et pourquoi ces dons sont souvent perdus dans la «transition du jeu intuitif au jeu conscient» à l’âge adulte. Elle a enquêté sur son propre jeu «naturel», et a examiné les dogmes pédagogiques traditionnels en étudiant l’anatomie, la physiologie, la physique et la construction du piano. Taubman a également étudié l’analyse scientifique révolutionnaire de la technique du piano d’Otto Ortmann.

De plus en plus, Taubman «a commencé à voir émerger toute une approche organisée». Taubman a initialement sous-estimé l’importance de sa découverte, estimant que «tout le monde connaissait la technique à part moi». Dans les années 1960, alors que la réputation de Taubman voyageait aux États-Unis, elle est devenue connue comme la professeure «underground» chez qui les pianistes venaient secrètement demander de l’aide. Parmi les éloges, des pianistes du calibre de Leon Fleisher, qui est cité comme disant : «Dorothy est absolument extraordinaire dans son intuition du moment où vous avez de la douleur, de l’endroit où quelque chose que vous faites est mal, et de comment vous pouvez vous en débarrasser».

Principes

Les principes de l’Approche Taubman ne sont pas nouveaux. L’innovation de Taubman a été de codifier explicitement les mouvements presque invisibles sous-jacents à une technique libre et fluide, ce que de nombreux virtuoses adoptent intuitivement. Cependant, comme le pianiste russe Feinberg a déclaré, «l’intuition parfois ne suffit pas, et nous devons recourir à l’analyse consciente afin de discerner le simple à l’intérieur du complexe». Ainsi, Taubman construit une approche pédagogique systématique pour développer la coordination des mouvements, à travers un processus de «complexité qui conduit à la simplicité».

Le principe fondamental de l’approche Taubman soutient que «les doigts, la main et le bras fonctionnent toujours comme une unité synchronisée, avec chaque partie faisant ce qu’elle fait le mieux». Lorsque ce principe est examiné en détail, trois autres règles émergent:

  1. Le mouvement coordonné «permet aux articulations concernées d’agir au plus près du milieu de leur gamme d’action que possible». Ainsi, Ortmann a découvert que cela produit «un minimum de fatigue» et «une précision maximale du jugement kinesthésique». La tension augmente à mesure que le mouvement se rapproche des extrêmes.
  2. Dans le mouvement coordonné, chaque partie doit agir «au meilleur de son avantage mécanique». Par exemple, l’avant-bras déclenche le mouvement puisque le bras supérieur, plus large, est incapable de la vitesse de l’avant-bras.
  3. Le mouvement coordonné nécessite un effort minimum pour un résultat maximum, ce qui crée de la précision et de la liberté.

Contributions

L’une des principales contributions de Taubman fut d’attirer l’attention sur l’existence de troubles musculo-squelettiques liés au jeu et d’analyser leurs causes physiques liées au jeu à la fin des années 1960, bien avant que le grand public y soit sensibilisé dans les années 1980. Taubman a également constaté que le mouvement coordonné est thérapeutique, qu’il minimise ou soulage les problèmes. En développant un usage plus coordonné, les pianistes blessés non seulement ont surmonté leurs problèmes, mais ont également joué à un niveau plus élevé que celui précédant la blessure. Ceux qui n’ont jamais été blessés ont acquis un tout autre niveau de facilité. En outre, Taubman a découvert que «c’est le mouvement correct qui produit une technique remarquable, pas le développement musculaire». Taubman a également souligné le plaisir physique du jeu bien coordonné. Elle pensait que «si la sensation de jouer du piano n’est pas délicieuse et euphorique, vous faites quelque chose de mal».

Une des autres révélations de Taubman était que «la relaxation est le résultat, non la cause, du jeu correct». La relaxation excessive est lourde, ce qui rend la vélocité difficile. La relaxation peut aussi provoquer des tensions ailleurs, puisque plus d’énergie est nécessaire pour initier le mouvement, et que d’autres parties travaillent plus durement. Taubman préconisait un mouvement stimulant et fluide, à mi-chemin entre tension et relaxation.

Une prémisse sous-jacente à la pédagogie Taubman est que tous les problèmes techniques peuvent être résolus grâce à un diagnostic efficace, plutôt que par plus de pratique. Les problèmes des élèves sont dus à un manque de connaissances, plutôt que d’un manque de talent. Comme l’a dit Taubman, «Nous parlons de personnes dévouées, sérieuses et douées. Elles ne devraient avoir aucune raison de ne pas pouvoir faire ce qu’elles veulent faire».

(Extrait de Learning and Teaching Healthy Piano Technique: Training as an Instructor in the Taubman Approach. Disponible via www.theresemilanovic.com.)

Comment en savoir plus ?

Les outils et les idées de Dorothy Taubman sont accessibles à tout le monde. Les vidéos sont disponibles en ligne via www.golandskyinstitute.org et www.ednagolandsky.com. Bien qu’il n’y ait pas de substitut à des cours en personne, on peut accomplir beaucoup sur Skype.

Vous pouvez visiter www.theresemilanovic.com pour lire des articles sur l’apprentissage et l’enseignement de l’approche Taubman, les performances à venir et les ateliers Taubman en l’Australie.

Therese-MilanovicEcrit par:

Therese Milanovic

Therese est professeure de piano, concertiste et membre Associée de la Faculté de l’Institut Golandsky.

Chronique d’une blessure au piano (suite et fin)

Partie II

(La partie I de l’article «Chronique d’une blessure au piano» peut être trouvée ici).

Je n’ai pas terminé ma formation, mais ne voulais pas abandonner.

Je croyais fermement qu’une blessure au piano comme la mienne était quelque chose de réversible, que je pourrais arriver à jouer à nouveau. Même après d’avoir épuisé toutes mes ressources, une vie de recherche me semblait plus tolérable que renoncer. Et cela malgré le fait que j’avais devant moi un grand abîme d’incertitude.

Je continuais donc à travailler sur mon rétablissement, mais cette fois sans pression et sans répertoire très exigeant. Je pouvais continuer à mon propre rythme et c’est un point qui a joué en ma faveur. Je continuais à lire tout ce que je pourrais trouver sur le piano et sur le corps, à regarder des vidéos de grand pianistes, à consulter d’autres pianistes pour me laisser guider par leurs conseils. Je suis devenu mon propre rat de laboratoire, je voulais expérimenter moi-même chaque découverte. J’étais ouverte à tout, et évidemment j’ai trouvé de tout dans mes recherches. Mais le temps passait et en dehors de quelques hauts et bas, il n’y avait pas d’amélioration significative.

Un jour, par hasard, j’ai trouvé sur Internet un documentaire sur une professeure américaine qui avait développé une approche technique fondée sur les principes biomécaniques du mouvement. Et ce fut une vraie trouvaille! Non seulement cette approche permet d’acquérir une technique brillante et libre d’effort pour la personne qui l’étudie, mais elle a aussi été appliquée avec succès dans la réhabilitation des personnes ayant des blessures résultant de la pratique du piano. L’enseignante était Dorothy Taubman, une femme avec une personnalité charismatique et exubérante.

Le documentaire s’intitule Choreography of the Hands : The Work of Dorothy Taubman (Taubman Institute 1986) (La chorégraphie des mains: Le travail de Dorothy Taubman). Il est disponible sur ce lien, avec des sous-titres en français.

Tout au long de la vidéo, on peut voir des témoignages de pianistes qui ont subi une blessure de ce type, et je me suis reconnue dans chacune de ces histoires. La chose étonnante était qu’ils avaient tous réussi à se rétablir. En même temps que je le regardais, j’oscillais entre curiosité et incrédulité. Mais je ne pouvais nier que beaucoup des idées de cet enseignant attiraient fortement mon attention. Par exemple, elle fait des déclarations telles que :

  • Quand un élève n’arrive pas à développer les compétences nécessaires pour jouer du piano, il est suppos,é à tort, manquer de talent, plutôt que manquer de connaissances.
  • Le travail de l’enseignant est de trouver les moyens pour que l’étudiant puisse obtenir les résultats souhaités.
  • Le piano est accessible à toute personne qui peut comprendre les principes du mouvement coordonné.
  • Jouer du piano correctement est une activité physique agréable et devrait être ressenti comme quelque chose d’euphorique.

Mme Taubman a développé son approche après des années d’observation et d’études, pour arriver à synthétiser de manière simple et claire les principes du mouvement coordonné qui sous-tendent à la technique pianistique.

Je voulais en savoir plus. Au cours des mois suivants, j’ai cherché plus d’informations, mais je me suis vite rendu compte que tout cela était trop complexe à mettre en œuvre par moi-même, même en lisant beaucoup sur le sujet. Pour me faire une idée claire, j’avais besoin d’un professeur. Je suis donc entré en contact avec une professeure qualifiée qui se déplace en Espagne régulièrement et j’ai reçu mes premiers cours dès que possible.

L’expérience ne m’a pas déçue. Cette première rencontre m’a ouvert une toute nouvelle perspective sur la technique du piano. La professeure m’a expliqué quelques principes du mouvement coordonné: Elle m’a appris à garder la main dans sa position naturelle à chaque instant, les doigts dépliés sans les ouvrir de manière forcée; Elle m’a également appris que les doigts, la main et le bras fonctionnent ensemble comme une unité; et que le plus efficace est de toujours rester dans l’amplitude moyenne de mouvement des articulations.

Cela m’a fait comprendre combien j’avais forcé mon corps à fonctionner d’une manière pour laquelle il n’a pas été conçu. L’ironie de tout cela est que depuis des années j’avais travaillé d’innombrables exercices qui contredisaient ces principes, puisque la plupart des méthodes traditionnelles pour développer la technique sont ainsi (Hanon, Czerny, Pischna, etc.).

Il n’est donc pas surprenant que cette approche entraîne une certaine controverse. Si les principes de Mme Taubman sont corrects, une grande partie des bases de la technique de piano classique sont fausses (Golandsky, 2012).

Mais ma situation allait au-delà de la controverse. Jouer, ou ne pas jouer, telle est la question! Cette professeure était la seule personne qui m’avait donné une évaluation précise de ce que je faisais avec mon corps en jouant. J’étais fascinée par sa capacité à diagnostiquer. Parfois des corrections étaient si minuscules qu’elles auraient pu échapper à un œil non averti, mais ces différences se ressentaient intérieurement avec une grande clarté. Ce qui gagna ma confiance de façon définitive furent les bons résultats dont j’ai pu faire peu à peu l’expérience en travaillant avec sa méthode.

Le gros inconvénient était que nous vivions dans des pays différents et que je ne pouvais assister qu’à deux ou trois fois par an. Je passais trop de temps sans la supervision nécessaire et le progrès a été lent. Si je voulais étudier cette approche sérieusement, je n’avais pas d’autre choix que de poursuivre des cours par vidéoconférence, et il n’était pas clair pour moi que cela fonctionnerait. Ce fut un moment délicat car mes doutes et mes craintes ont été plus exacerbées que jamais. Finalement, sans preuve ni garanties, je me suis décidée à étudier l’approche Taubman sérieusement, car j’ai compris que seul mon engagement pourrait créer une chance de rétablissement.

Il est difficile d’apprendre le piano à distance, encore plus quand il s’agit de mouvements complexes qui nécessitent une grande précision. Cela fut possible en grande partie grâce à l’expertise et l’expérience de ma professeure qui fut capable de me guider parfaitement.

Au fil du temps, j’ai découvert beaucoup de choses. J’ai commencé à comprendre les principes anatomiques et biomécaniques du corps et grâce à cela, tous mes problèmes se sont révélés l’un après l’autre. Je pouvais voir les causes, souvent invisibles, qui les ont provoqués. Les pièces du puzzle ont commencé à tomber en place.

Chaque fois que j’arrivais à intégrer un nouvel élément de cette approche à ma technique, un étonnant bond qualitatif avait lieu.

J’ai enfin obtenu les réponses que j’avais désirées tout au long de ma carrière. Maintenant, je sais que les insécurités étaient légitimes et qu’il y avait des moyens pour y faire face et les résoudre. Il fut pénible de se rendre compte que beaucoup de mes problèmes avaient été causés par les conseils peu judicieux de certains de mes professeurs, conseils que j’avais suivis à la lettre et sans question. Je dis cela sans aucune trace de reproche, bien qu’avec tristesse. Il n’y a pas de coupable à désigner quand la responsabilité est diluée dans une chaîne de bonnes intentions.

La douleur dans mon bras a également été atténuée, tandis que les périodes d’inconfort se sont espacées progressivement. En outre, en même temps que mes mouvements ont retrouvé leur naturalité perdue, jouer est redevenu une activité agréable. Parfois, les sentiments que j’éprouvais en jouant du piano durant mon enfance me revenaient. Alors que je retirais toutes ces couches de tension et d’incoordination apprise, je pouvais me reconnaître de plus en plus dans mon jeu. Ce fut une rencontre avec moi-même à travers le piano.

Neuf ans ont passé depuis que j’ai ressenti les premiers symptômes de douleur. Ce furent neuf années de recherche et d’incertitude, de frustration et de souffrance, jusqu’à ce que je puisse finalement mettre fin à cette aventure. Deux ans seulement après avoir décidé d’étudier sérieusement l’approche Taubman, j’étais en mesure de jouer un répertoire exigeant sans douleur ou inconfort et j’ai réussi à passer mon examen de fin de carrière avec succès.

La rééducation n’est pas un processus facile, il y a des hauts et des bas, mais les bons moments finissent par prendre le pas sur les mauvais, et aujourd’hui je profite du piano comme jamais.

Maintenant je peux jouer sans douleur ni restrictions, et ma technique est beaucoup plus forte qu’auparavant. Les gammes, octaves et trilles ne sont plus une limitation, et en étudiant moins je peux obtenir de meilleurs résultats. Chose étrange, je n’ai même pas besoin de m’échauffer avant de jouer. Je profite aussi beaucoup plus de l’enseignement et mes élèves bénéficient également de tout ce que j’ai appris. Quand je vois tout ce que m’a donné l’Approche Taubman et combien de personnes pourraient bénéficier de son étude, il me semble incompréhensible qu’elle soit encore si peu connue en Europe.

Je souhaite raconter mon histoire pour valider l’expérience de ceux qui traversent une situation similaire. Trois musiciens sur quatre est un chiffre très élevé, derrière lequel se cache beaucoup de souffrance. Bien sûr, il existe de nombreux types de blessures, et pour certains ce n’est qu’un revers qui est résolu avec un peu de repos. Mais pour d’autres, cela peut signifier la fin précoce d’une carrière qui a été menée avec une grande vocation.

Je veux dire que la rééducation est une solution parfaitement envisageable. Parfois, il suffit de changer quelque chose qui fonctionne mal pour que tout revienne à la normale ; parfois le désordre est si grand qu’il est préférable de réapprendre certains aspects de la technique à partir des bases. Ce n’est pas un processus fastidieux, mais un travail intéressant et clarifiant. Et les efforts sont récompensés bien au delà de l’investissement.

Je le dis avec une grande conviction : Avec l’aide d’un professeur qualifié, avec une pratique consciente et une résolution personnelle, la rééducation est possible.

References:

Golandsky, E. (2012). Why do some people find the Taubman Approach controversial?. From: https://ednagolandsky.com/2012/07/01/why-do-some-people-find-the-taubman approach-controversial/ (accessed 05/04/2016).

Taubman Institute (1986). Choreography of the hands: The work of Dorothy Taubman.
Amherst, MA: Sawmill River Productions. From: https://youtu.be/suwdLaYBaAs (accessed 01/04/2016).

Chronique d’une blessure au piano

Partie I

Une blessure au piano peut changer la vie.

Trois musiciens sur quatre développent une blessure au cours de leur vie * (Lopez, 2014). Je suis l’une de ces trois « chanceux » et ceci est mon histoire:

Tout au long de ma carrière de pianiste, j’ai souvent expérimenté des limitations techniques qui ne pouvaient pas être surmontées malgré un travail conséquent. Par exemple, je n’arrivais pas à avoir de la vitesse et de l’uniformité sur les gammes; je ressentais une certaine fatigue dans les passages d’octaves et un manque de maîtrise sur les trilles et trémolos. Ces problèmes étaient mineurs et peu visibles, mais ils renforçaient l’insécurité de ma façon de jouer.

Quand j’expliquais ça à mes professeurs, souvent ils ne me comprenaient pas ou n’y prêtaient pas attention. Curieusement, j’obtenais de bons résultats malgré ces inconforts. De quoi me plaignais-je donc? Franchement, j’en suis venu à douter de mes propres perceptions et j’ai fini par croire ce que tout le monde me disait : que je n’avais aucun problème technique et que je jouais bien. Mais pour y croire, j’ai dû mettre de côté mon intuition, sans savoir qu’un jour je paierais un prix élevé pour cela. J’ai continué mes études ainsi.

Mais l’insécurité était toujours là. Elle est apparue dans mon attitude au moment de jouer en public. Je commençais à souffrir du trac, qui est devenu le bouc émissaire parfait: Je pouvais enfin jeter le blâme sur quelque chose de concret. Et cela vient du fait que les questions techniques qui sous-tendaient à cette insécurité me semblaient intangibles, incompréhensibles. J‘ai senti un manque de connexion avec l’instrument, comme si jouer n’était pas quelque chose de naturel pour moi. J’ai senti que je laissais beaucoup de choses au hasard, que je n’étais pas assez cohérente en termes de résultats. Cependant, j’étais incapable de comprendre pourquoi.

Les tensions compensatoires faussent la sensation de contrôle de l’instrument, et tôt ou tard ces tensions créent leurs propres obstacles insurmontables.

Au fil du temps, j’ai attribué ces limitations à une caractéristique personnelle, à ma constitution physique ou pire encore, à un manque de talent honteux. Malgré tout, j’ai essayé de ne pas y prêter attention et de continuer comme je pouvais. Mais à mesure que le répertoire est devenu plus exigeant, mon jeu est devenu plus tendu et rigide. C’est arrivé de façon progressive et imperceptible. Les tensions compensatoires acquises faussaient la sensation de contrôle de l’instrument, et tôt ou tard ces tensions créent leurs propres obstacles insurmontables.

Et voilà comment je suis arrivée au Conservatoire Supérieur, où mes graves problèmes ont commencé. Lorsque les premiers symptômes sont apparus, je traversais une période de stress qui a sans doute agi comme un déclencheur.

Je me souviens que c’était une journée d’étude comme une autre quand je commençai à remarquer dans ma main droite une incapacité alarmante à jouer de façon fluide, comme si mon bras manquait de stabilité, comme si je ne savais pas comment le garder en place. A ce moment, j’ai eu la certitude soudaine que quelque chose était de très mauvais se passait. Et pourtant, ce fut pire dans les jours qui suivirent, quand je commençai aussi à ressentir de la douleur à l’épaule, au cou et un engourdissement dans le coude.

Surprise et confusion! Je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait. Je ne pouvais pas me permettre d’être comme ça, avec tout ce que je devais étudier. Je me suis reposé quelques jours, puis j’ai repris l’étude avec plus de soin, avec une meilleure analyse personnelle; étudier avec plus d’attention, plus lentement, me détendre entre chaque note. Je ne manquais pas de volonté, mais j’ai vite découvert que c’était inutile: Toutes mes tentatives ont fini avec les mêmes sensations désagréables, suivies de plus de stress et de frustration. A mon grand étonnement, la relaxation n’a pas aidé. En travaillant plus relaxée, mon jeu est devenu tendu et incontrôlable. Je me sentais perdue. Et pour couronner le tout, mon travail en cours empirait de jour en jour.

J’ai consulté plusieurs médecins et spécialistes qui ne me donnèrent pas un diagnostic clair, encore moins une solution, bien que l’un d’eux ait suggéré qu’il serait préférable d’oublier le piano et de trouver une autre occupation.

Obstinée, j’ai décidé de continuer. Je cherchais de nouvelles informations: J’ai commencé à lire beaucoup de livres sur le piano et la technique, j’ai placé des miroirs pour étudier,pris des notes sur mes sentiments et pensées, j’en parlais à tout le monde… Ma recherche était constante. Bien sûr, j’ai consulté dans le même temps plusieurs médecins et spécialistes, mais aucun ne m’a donné un diagnostic clair, encore moins une solution. L’un d’entre eux a néanmoins suggéré qu’il serait préférable d’oublier le piano et de trouver une autre occupation.

J’ai essayé diverses techniques de relaxation, de physiothérapie et quelques sessions de massage, plusieurs sessions d’ostéopathie; j’ai pris des anti-inflammatoires et des relaxants musculaires; j’ai utilisé pendant un temps un dispositif qui était censé réduire l’inflammation dans le coude: Rien de tout cela n’a fonctionné. J’ai également étudié pendant quelques années la Technique Alexander, qui s’est révélée extrêmement bénéfique, mais sans réussir à aller au fond du problème.

Les blessures sont un sujet tabou pour les musiciens, il y a une honte certaine liée à ces problèmes. En général, les musiciens n’admettent pas ouvertement une blessure si elle n’est pas évidente, parce qu’elle est associée à une mauvaise technique, et une mauvaise technique à un manque de talent.

En attendant, je souffrais d’une grande incompréhension de la part de mon entourage. Mes enseignants et collègues me disaient que c’était psychologique, minimisaient le problème ou refusaient carrément de me croire. Et même si leurs intentions étaient bonnes, je me sentais inutile et incapable quand je leur en parlais. Les blessures sont un sujet tabou pour les musiciens (Stenger, 2015), il y a indubitablement une honte liée à ce type de problème. Généralement un musicien n’admettra pas ouvertement une blessure si elle n’est pas évidente, parce que la blessure est associée à une mauvaise technique, et une mauvaise technique à un manque de talent.

Mais je sentais que le problème ne venait pas d’un manque de talent, mais plutôt d’une sorte de pétrin dans lequel je m’étais fourrée. Donc, je luttais pour comprendre, pour me rétablir… Ou pour qu’un miracle se produise; rien ne fonctionnait. J’empirais et j’avais l’impression d’avancer à l’aveugle.

Au fil du temps, la douleur est devenue chronique et ne s’améliorait pas, même avec de longues périodes sans jouer. En outre, ça a interféré avec mes activités quotidiennes telles que l’écriture, la cuisine ou les soins personnels. Parfois, je sentais des picotements et des spasmes, mais c’était en général une douleur sourde qui s’étendait de l’oreille au côté du corps et qui, parfois, devenait intolérable. Il y eut un temps où seulement tenir les mains sur le clavier me demandait un effort atroce. Même la plus simple des partitions devenait un défi impossible pour moi.

Finalement, j’ai abandonné mes études alors qu’il me restait un seul examen pour terminer mon cursus.

A suivre…

(La partie II de cet article peut être trouvée ici).

Références:

* “la présence de douleurs et/ou troubles musculo-squelettiques est de 62.5%-89.5%”

López M., A. (2014). “Análisis de la presencia de dolor y/o trastornos musculoesqueléticos en músicos instrumentistas profesionales”. Universidad Pública de Navarra

Stenger J. (2015). “Lesiones musculoesqueléticas asociadas a la interpretación musical: su comprensión y clínica. Una exploración situada en la psicología”. Universidad de la República