La technique pour jouer les passages de tierces au piano

Edna Golandsky explique dans cette vidéo les éléments sous-jacents à l’exécution de passages de tierces:

Étape 1: La rotation

Dans les passages de tierces et d’autres groupes de notes doubles, le sens de la rotation est toujours (presque sans exception) vers le pouce. Si nous exécutons une tierce avec la rotation vers le cinquième doigt, la main et le bras entier sont déséquilibrés.

Ceci est expliqué par la structure de l’avant-bras et ses possibilités de mouvement. Lorsque les os de l’avant-bras (radius et cubitus) se croisent pour provoquer la rotation, le cubitus reste l’axe de rotation. Par conséquent, le côté du pouce (radius) fournit une plus grande amplitude de mouvement alors que le côté du cinquième doigt (cubitus) assure la stabilité, malgré le fait qu’au moment de l’attaque, la main reste équilibrée sur chaque doigt avec un sentiment de stabilité dans son ensemble.

Ce n’est pas facile de le voir sans une compréhension kinesthésique de l’équilibre de l’avant-bras, de sorte que la direction d’un professeur spécialisé peut être nécessaire.

Comme toutes les tierces sont exécutées avec la rotation vers le pouce, cela entraîne des rotations doubles; c’est-à-dire des rotations successives effectuées dans la même direction.

Les rotations doubles sont composées de deux mouvements:

  • le mouvement préparatoire (dans le sens inverse du doigt qui a joué auparavant).
  • le mouvement d’attaque (qui retourne l’ensemble main/avant-bras à la position d’équilibre).

Étape 2: Le passage du pouce

Je continue en illustrant l’exemple de la vidéo (1 :08) où l’on voit un passage de tierces ascendantes, jouées avec la main droite.

Tierces exécutées avec rotation double

On voit que même si la configuration des notes est ascendante (vers la droite), les rotations sont toujours de droite à gauche (vers le pouce). Le bras se déplace vers la droite entre chaque tierce, mais la rotation est vers la gauche.

Il se passe la même chose sur le passage du pouce : La préparation de la rotation (qui se fait vers la droite) amène le bras vers la position correcte et la rotation est terminée en jouant vers le pouce.

Etape 3: Jouer et Terminer

Les mouvements de la rotation double doivent toujours être bien synchronisés entre eux puisque les deux mouvements, la préparation et l’attaque, sont réalisés en un seul geste. Toute velléité de ralentissement dans l’air réduit l’inertie de l’attaque et amoindrit le temps de repos dans chaque note.

Golandsky suggère de penser à « jouer et terminer » le mouvement; ainsi que pour le mettre en pratique, il est efficace de se répéter intérieurement sur chaque note: jouer et terminer, jouer et terminer…

Si dans la rotation double le mouvement naît de la note précédente, c’est parce que la rotation est mal synchronisée. L’Idéal est de se reposer sur chaque note, jusqu’à ce qu’il soit impossible d’attendre pour la prochaine rotation.

Travailler de cette manière a pour résultat une grande facilité de mise en œuvre avec une sensation de soutien et de sécurité dans chaque note.

Etape 4: Minimiser

Minimiser le mouvement est un processus très important, qui déstructure tout le travail effectué au préalable s’il n’est pas fait correctement.

Cela doit être un processus actif et progressif qui n’oublie aucune des qualités déjà travaillées: le sentiment d’être au fond de la touche sans pression, le sentiment de terminer chaque note après la rotation, la bonne synchronisation, le confort, etc.

Après avoir terminé le processus de minimiser les mouvements de rotation, tous les éléments acquièrent leur juste proportion. Les doigts restent actifs et l’avant-bras n’est pas aussi actif qu’auparavant mais reste très disponible. Il nous permet d’avoir la sensation de se déplacer sans effort de touche en touche, comme si chaque touche nous transférait à l’autre. Presque comme si c’était un mécanisme de collaboration à mi-chemin entre le mécanisme du piano et le bras du pianiste.

 (Pour voir la vidéo, activez les sous-titres en français s’ils ne sont pas affichés par défaut).

Références:

Golandsky E. The Golandsky Institute. (2008). « Perfect Double Thirds – an excerpt from the Taubman 10 DVD Series ». From: https://www.youtube.com/watch?v=UE7D6qqpAGw

 

 

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Les grands pianistes aussi se blessent

Il y a quelques semaines, le célèbre pianiste Lang Lang a publié une déclaration sur les réseaux sociaux dans laquelle il explique pourquoi il a décidé d’annuler toutes ses activités pour une période d’un mois et demi. Voici sa déclaration:

« Lang Lang a le regret d’annoncer qu’il est contraint d’annuler ses performances jusqu’à fin juin en raison d’une inflammation dans son bras gauche. Sous recommandation de son médecin, Lang Lang prendra ce temps pour se reposer et permettre à son bras de guérir, afin de faire un rétablissement complet « .

Quelques jours plus tard, il a posté une vidéo sur son compte Facebook dans lequel il explique qu’il commence un traitement de récupération en Europe avec un grand médecin, et qu’il se sent très optimiste et impatient de commencer.

J’ai été surpris de voir que Lang Lang avait décidé de rendre public la raison de ces annulations. Pour moi, c’est un vrai geste d’humanité, de force et de caractère.

J’espère qu’il se rétablira complètement durant cette période de repos et qu’il pourra ensuite reprendre  son rythme habituel de concerts et spectacles.

Un risque élevé pour les musiciens

Malheureusement, les blessures sont fréquentes chez les musiciens. Les statistiques parlent: 60% -80% des musiciens développent un genre de blessure lié à son instrument au cours de sa vie. En outre, il convient de noter que ces statistiques ne tiennent généralement pas en compte les musiciens qui ont justement renoncé à leur carrière ou à leur profession à cause d’une blessure.

Le risque est élevé, et les blessures affectent les musiciens de toutes sortes: les professionnels et amateurs, pianistes célèbres et étudiants. La cause commune: jouer d’un instrument.

Les blessures sont un sujet tabou et les musiciens en général n’aiment pas en parler. Pour les musiciens de concert, il peut y avoir de nombreuses pressions en jeu. Qui oserait embaucher un musicien s’il y a un risque d’annulation? Parler de sa blessure peut indéniablement créer un stigmate.

Pour reprendre les mots du pianiste Gary Graffman:

« Les problèmes des mains des instrumentistes, ainsi que les maladies sociales, sont inavouables. C’est compréhensible: Pour un interprète qui est encore en activité ou qui espère revenir bientôt à la scène, il serait fou d’annoncer son handicap. Personne ne veut d’un pianiste blessé quand il y a une offre abondante de pianistes en bonne santé. Admettre ses difficultés est comme sauter, sanguinolent, dans des eaux pleines de piranhas ».

Avec un tel scénario, la décision de Lang Lang de rendre public son état me semble admirable. D’autant plus quand on sait que tant de jeunes pianistes du monde entier ont les yeux rivés sur lui.

Son message contribue à sensibiliser aux troubles musculo-squelettiques et à rappeler comment ceux-ci peuvent affecter n’importe quel musicien.

Le manque de sensibilisation aux blessures

En général, même de nos jours, il y a un manque manifeste de compréhension et de sensibilisation au problème des blessures chez les musiciens.

On ne comprend pas bien les causes qui les provoquent (on parle plus de syndrome de surmenage que de mauvais usages). On ne sait pas reconnaître les premiers signes qui peuvent les déclencher.

Il y a peu de formation et de préparation aux principes anatomiques et biomécaniques qui accompagnent une technique saine. Savoir comment jouer pour le corps et non contre lui.

En raison de ce manque de connaissances, on maintient des routines d’étude et des pratiques peu recommandables. On ne remet pas en question les aspects les plus contradictoires de l’enseignement traditionnel.

De plus, on prête fréquemment attention au côté artistique tout en excluant l’aspect physique du jeu. Alors qu’en fait, les deux aspects doivent être liés.

Beaucoup de gens ne savent pas que quand on parle de blessures, ce ne sont pas seulement des maux et des douleurs. Ces troubles, à défaut de traitement, peuvent mettre fin à la carrière d’un musicien et même lui faire perdre partiellement ou complètement l’utilisation du membre concerné. Et tout cela, sans même prendre en compte les dommages émotionnels et psychologiques que cela implique.

Néanmoins, il y a eu une prise de conscience importante au cours des dernières décennies dont nous pouvons être reconnaissants. Aujourd’hui les blessures sont un problème reconnu, qui peut être résolu s’il est traité à temps. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.

Les progrès réalisés dans la reconnaissance des blessures

Dans les années 60 et 70, très peu de gens avaient entendu parler des blessures de musiciens. Le fait qu’un musicien pouvait être blessé en jouant de son instrument était une idée assez controversée.

C’était une mauvaise époque pour surmonter une blessure. Il n’y avait pas d’information disponible sur le sujet, ni des médecins qui comprennent la nature du problème. Les musiciens qui en souffraient le maintenaient secret.

Jusqu’à ce que deux pianistes changent la façon de voir les choses en rendant public leur situation :

Leon Fleisher
leon-fleisher

Leon Fleisher

En 1964, le pianiste Leon Fleisher qui avait alors 36 ans perdit mystérieusement l’usage des doigts 4 et 5 de la main droite sur une période de dix mois. Les médecins qu’il avait été voir n’ont trouvé aucune solution. Cela l’a forcé à abandonner sa carrière de concertiste.

Dans un premier temps, il n’en a pas beaucoup parlé publiquement, malgré le fait qu’il ne cachait pas sa situation. Fatigué d’entendre que le problème était dans sa tête et pas dans ses mains, et sans espoir de jouer à nouveau, il est tombé dans une profonde dépression.

La perte de la capacité à jouer est un traumatisme d’une grande importance pour la vie de tout musicien. Fleisher l’a exprimé ainsi:

“Quand les dieux veulent vous avoir, ils savent où frapper: à l’endroit qui vous fera le plus de mal”.

Gary Graffman

En 1979, un autre pianiste célèbre, Gary Graffman, qui avait alors 51 ans, a également été obligé d’abandonner sa carrière de concertiste. La raison était la perte progressive de sa capacité à jouer avec sa main droite.

Comme il l’explique, 12 ans plus tôt il a eu un incident qui pourrait être le déclencheur. Il était en train de répéter le Concerto n° 1 de Tchaïkovski avec l’Orchestre Philharmonique de Berlin. L’instrument sur lequel il jouait était si pauvre de sonorité, que de colère il frappa l’instrument, provoquant une foulure à son quatrième doigt. Après le concert il prit quelques semaines pour récupérer, mais après cette période il avait encore mal. Il changea alors les doigtés de tous les octaves pour les jouer avec les doigts 1-3, en repliant les doigts 4 et 5 à l’intérieur de la main. Cela a donné une force supplémentaire à ses octaves. Et comme ça fonctionnait très bien, il a continué à le faire systématiquement.

Il raconte qu’il n’avait jamais réfléchi à sa façon de jouer du piano avant que son problème apparaisse. Ce n’est qu’après analyse de ses mouvements qu’il se rendit compte qu’il faisait quelque chose de bizarre avec sa main, et ce depuis longtemps.

Contrairement à Fleisher qui n’en a pas beaucoup parlé, Graffman a crié ses problèmes aux quatre vents.

En 1981 est sorti un article dans le magazine New York Times intitulé « When a Pianist’s Fingers Fail To Obey » (Quand les doigts d’un pianiste ne parviennent pas à obéir). C’est une interview dans laquelle la blessure de Graffman est décrite en détail, avec quelques données sur Fleisher et en parlant aussi des problèmes subis par Robert Schumann. Ce fut le premier article écrit dans une publication générale qui a abordé la question en profondeur.

Le monde entier a réagi. La communauté des musiciens a commencé à en parler. Et ceux qui passaient par des problèmes similaires, mais les gardaient cachés ont commencé à découvrir qu’en fait ces troubles étaient assez répandus.

Dans les années qui ont suivi, ils ont reçu le nom que l’on connaît aujourd’hui: les troubles musculo-squelettiques ou les troubles de mouvements répétitifs. Ils ont été reconnus comme des maladies professionnelles. En 1982 a émergé aux Etats Unis dans la spécialité médicale « La Médecine des musiciens », totalement distincte de la « Médecine du sport » ou d’autres formes de réadaptation et de physiothérapie.

A partir de ce moment, il a été largement admis que le fait de forcer le corps à faire un type de mouvements répétitifs non coordonnés peut provoquer un dysfonctionnement et des conséquences graves si on ne fait pas attention.

En 1986 est sorti le premier numéro du magazine américain «Medical Problems of Performing Artists », avec l’article de Gary Graffman « Doctor, can you lend an ear? » (Docteur, puis-je avoir votre attention?). Dans cet article, Graffman se lamente que dans sa recherche d’une solution il a été voir 18 médecins et a reçu 18 diagnostics différents. Il a également exprimé son espoir d’un avenir avec un regard plus ouvert à ces conditions.

Aujourd’hui, il y a des médecins spécialisés qui peuvent traiter une blessure de manière très efficace pour la guérir le plus tôt possible. Il y a aussi des professeurs spécialisés qui peuvent rééduquer les mouvements spécifiques nécessaires pour jouer du piano qui correspondent à une technique saine.

La liste des pianistes célèbres qui ont été blessés est longue: En plus de Gary Graffman et Leon Fleisher on retrouve aussi Wanda Landowska, Artur Schnabel, Ignace Paderewski, Alexander Scriabin, Ignaz Friedman, Sergei Rachmaninoff, Clara et Robert Schumann, Glenn Gould, Michel Beroff et Richard Goode.

Le message de Lang Lang était l’excuse parfaite pour parler de tout cela.

Merci à Lang Lang d’avoir contribué ouvertement à la sensibilisation et la normalisation des blessures des musiciens.

Bonne chance pour votre rétablissement et votre carrière!

Références :

Dunning, J. (1981). “When a Pianist’s Fingers Fail To Obey”. The New York Times. From: http://www.nytimes.com/1981/06/14/arts/when-a-pianist-s-fingers-fail-to-obey.html?pagewanted=all

Graffman, G. (1986). “Doctor, can you lend an ear?”. Medical Problems of Performing. Artists, 1, 3-6. From: https://www.sciandmed.com/mppa/journalviewer.aspx?issue=1153&article=1520&action=1

Mark, T. (2004). “What Every Pianist Needs To Know About The Body”. (A manual for players of keyboard instruments: piano, organ, digital keyboard, harpsichord, clavichord). Chicago, GIA Publications.

Midgette, A., Fleisher, L. (2010). “In Leon Fleisher’s book, ‘My Nine Lives,’ a pianist faces a crippling nightmare”. The Washington Post. From:  http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2010/11/24/AR2010112404224.html

Milanovic, T. (2011). “Healthy virtuosity with the Taubman Approach”. 10th Australasian Piano Pedagogy Conference Proceedings. From: http://www.appca.com.au/pdf/papers2011/Milanovic%202011%20APPC,%20Healthy%20Virtuosity%20with%20the%20Taubman%20Approach.pdf

Pascarelli, E., Quilter D. (1994). « Repetitive Strain Injury: A Compter User’s Guide ». Wiley (February 15, 1994).

PBS NewsHour. (2011). “Piano Virtuoso Fleisher on Overcoming Disability That Nearly Silenced Career”. PBS NewsHour’s Channel. From: https://www.youtube.com/watch?v=FZLvhZvO2v4

Taylor, David A. (1999). “Paderewski’s Piano”. Smithsonian Magazine. From: http://www.smithsonianmag.com/arts-culture/paderewskis-piano-164445847/

L’utilisation du pouce dans la technique du piano

Dans cette vidéo Edna Golandsky parle du mouvement du pouce du point de vue de l’Approche Taubman.

Nous ne parlerons pas encore de la technique du passage du pouce mais du toucher de base, la simple action de faire descendre les touches vers le bas.

Le pouce est différent des autres doigts, nous allons voir pourquoi.

Dans la vie quotidienne, la fonction principale du pouce pour la main est la pince de préhension car il est capable de s’opposer aux autres doigts. Il utilise les mouvements de flexion-opposition.

pince de préhension

Fonction d’opposition du pouce.

Toutefois, pour faire descendre les touches le pouce ne se déplace pas en flexion-opposition, mais dans le même sens que les autres doigts (parce que le piano est joué vers le bas). Ainsi, tandis que les autres doigts se fléchissent pour jouer, le pouce doit faire un mouvement d’abduction qui est plus lent.

Si le pouce devait se déplacer par lui-même comme dans la technique de doigts articulés, il n’y aurait pas de solution possible. Il est donc très important de développer une technique où l’avant-bras est activement impliqué dans le mouvement de chaque doigt, ce qui permet au pouce d’égaler la vitesse des autres doigts.

Si nous considérons le mouvement du pouce de manière isolée, il se fait à partir de l’articulation du poignet, pas des phalanges, et sans dépasser l’amplitude moyenne de mouvement. Bien que nous avons vu que, dans la pratique le pouce s’articule toujours avec le soutien de la rotation de l’avant-bras.

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Amplitude moyenne du mouvement du pouce.

(Pour voir la vidéo, activez les sous-titres en français s’ils ne sont pas affichés par défaut).

Références :

Golandsky E. The Golandsky Institute. (2008). « Correct Thumb Positioning and Movement – an excerpt from the Taubman 10 DVD Series ». From: https://www.youtube.com/watch?v=SvQPBGvoVNA

Mark, T. (2004). “What Every Pianist Needs To Know About The Body”. (A manual for players of keyboard instruments: piano, organ, digital keyboard, harpsichord, clavichord). Chicago, GIA Publications.

 

L’Approche Taubman de la technique du piano (par Therese Milanovic)

Prelude

Peu après mon 18e anniversaire, on a diagnostiqué une tendinite de Quervain dans mon pouce droit durant ma première année d’études au Conservatoire de Queensland, à l’Université Griffith. Les six semaines sans pratique prescrites m’ont paru durer une éternité. J’étais loin de soupçonner qu’il y aurait encore neuf ans de lutte à venir et que je trouverais les solutions à mes problèmes de l’autre côté du monde.

Cherchant tous les traitements possibles pour ma douleur récurrente, j’ai pris des médicaments anti-inflammatoires, j’ai eu une injection de cortisone, puis une chirurgie, d’innombrables séances de physiothérapie, d’acupuncture, d’hypno thérapie, de Reiki, d’hypnose, et de massage. D’une certaine manière je me suis battue à travers mes études de Licence. Je fus obligé de dicter ma thèse car écrire au clavier m’était douloureux; la préparation pour mon récital final fut principalement de la pratique mentale. Après quatre années supplémentaires de repos forcé au piano après avoir terminé ma Licence, il est devenu clair que je devais envisager une occupation alternative.

Puis j’ai entendu parler de l’approche Taubman par un collègue étudiant aux États-Unis. Pour donner une dernière chance à ma vie en tant que musicien, j’ai assisté en 2003 à deux cours intensifs Taubman aux États-Unis et en Italie, avec dans ma poche de l’argent emprunté et le rêve de jouer à nouveau du piano. Durant ce mois, pendant environ sept heures de cours individuels avec la professeure Taubman Teresa (Terry) Dybvig, les difficultés techniques qui avaient causé mes problèmes ont été diagnostiquées et remplacées par des mouvements sains.

Avec le recul, je suis arrivée en 2003 avec des doigts isolés et recroquevillés qui agrippaient et serraient le fond de la touche. Je tordais les poignets, j’étirais les doigts et je m’asseyais bas. En conséquence, mes bras se soulevaient pour compenser, et mes poignets étaient affaissés. Ma «musicalité» et mon «expressivité» étaient intrinsèquement liées aux gestes de l’épaule, du bras et du coude, ce qui créait de la douleur tout autour de mes épaules.

Trouver la liberté au piano fut bouleversante, même sur quelques notes jouées avec la chute. Être équilibrée dans la touche avec le doigt, la main et le bras paisiblement alignés me fit monter les larmes aux yeux. La «sensation de ne pas avoir de sensation» a été déchirante. Accompagnant mon excitation, je me sentais coupable de «trahir» mon ancien professeur en adoptant une nouvelle façon d’aborder le piano qui contredisait souvent les instructions précédentes. Ce fut également pénible de découvrir que ce que j’avais travaillé si dur à cultiver dans mon jeu était directement responsable de ma blessure.

Naturellement, il me restait beaucoup à apprendre après un mois de formation Taubman en immersion. Cependant, après avoir eu la sensation d’être entre deux mondes pianistiques pendant six mois, ce que j’avais appris aux Etats-Unis s’installa dans mon jeu. A partir de ce moment, mon jeu et mes qualités pédagogiques n’ont pas cessé de s’améliorer. J’ai terminé ma Maîtrise en interprétation et commencé à bâtir une solide réputation comme interprète, attirant des élèves de haut niveau et plus tard, un poste d’enseignant à la Young Conservatorium Griffith University à Brisbane, en Australie.

En Juillet 2007, je suis retournée aux États-Unis pour un autre mois intensif de symposia. Mes cours avec Edna Golandsky sont allés au-delà de ma compréhension initiale de l’Approche Taubman, ont ouvert mon jeu et mon enseignement à de nouveaux niveaux de sécurité, de couleur, de virtuosité et d’inspiration. Après deux années de planification, je me suis rendu à New York en Avril 2009 pour entreprendre un programme condensé afin d’obtenir la certification en tant que professeur Taubman, ce qui a constitué le travail de terrain pour ce projet de recherche.

Avance rapide jusqu’en 2014. Après de nombreux voyages aux États-Unis et des cours réguliers sur Skype, je suis maintenant au niveau Associate Faculty avec l’Institut Golandsky. Mon rêve d’être en mesure de former des enseignants australiens en Australie vers la certification Taubman est maintenant une réalité.

Je manque de superlatifs pour résumer ma formation Taubman. Mes mains ne se sont jamais senties aussi bien. Lorsque j’approfondis ma compréhension de l’approche Taubman, il en va de même pour ma compréhension de la relation indivisible entre l’art et le savoir-faire physique, qui permettent de faire de la musique de manière convaincante. L’Approche Taubman a complètement transformé mes façons de jouer et d’enseigner.

Brève Introduction à l’Approche Taubman

Contexte

Malgré les progrès de l’analyse biomécanique au cours du dernier siècle, les connaissances techniques sur la façon de jouer l’instrument ont été transmises à travers les générations sans véritable remise en question. Les pédagogues enseignent souvent de la même manière dont on leur a enseigné, et de la même manière dont leurs enseignants eux-même ont appris, en développant leur propre approche par essais et erreurs. Ces attitudes pédagogiques sont le résultat d’une tendance à analyser la technique du piano en se basant principalement la perception visuelle du jeu, avec peu de compréhension des principes anatomiques et biomécaniques sous-jacents. Comme Taubman l’a indiqué, «Nous avons une tradition du ouï-dire … Dans notre profession, l’étude scientifique a été minime, et même ce petit peu a été fréquemment négligé». L’approche analytique du piano que Taubman a apportée était donc révolutionnaire pour son époque.

Origines

L’approche Taubman a été développée au cours de cinq décennies par la pédagogue basée à Brooklyn Dorothy Taubman (1918- 2013). Ce n’est pas une méthode, mais plutôt «une approche globale de la technique du piano qui permet un moyen ordonné et rationnel de résoudre les problèmes techniques. Non seulement cette approche a produit des pianistes virtuoses, mais elle a également obtenu un taux de réussite extraordinaire pour la réhabilitation des pianistes blessés, dont la plupart joue à nouveau».

A côté de développer «la maîtrise et la facilité» dans le jeu, l’approche Taubman offre des outils pour comprendre et enseigner «une expression artistique complète» en aidant les pianistes à atteindre leur « plus haut potentiel en tant qu’interprètes. »

Dans un premier temps, la motivation de Taubman était de découvrir les secrets de la technique virtuose pour aider les pianistes doués à réaliser leur potentiel. Elle a interrogé le «nombre effrayant» de pianistes dans la douleur, y compris des amateurs qui pratiquaient relativement peu. Taubman s’est demandé comment les enfants prodiges peuvent intuitivement jouer le répertoire virtuose avec les mains minuscules, et pourquoi ces dons sont souvent perdus dans la «transition du jeu intuitif au jeu conscient» à l’âge adulte. Elle a enquêté sur son propre jeu «naturel», et a examiné les dogmes pédagogiques traditionnels en étudiant l’anatomie, la physiologie, la physique et la construction du piano. Taubman a également étudié l’analyse scientifique révolutionnaire de la technique du piano d’Otto Ortmann.

De plus en plus, Taubman «a commencé à voir émerger toute une approche organisée». Taubman a initialement sous-estimé l’importance de sa découverte, estimant que «tout le monde connaissait la technique à part moi». Dans les années 1960, alors que la réputation de Taubman voyageait aux États-Unis, elle est devenue connue comme la professeure «underground» chez qui les pianistes venaient secrètement demander de l’aide. Parmi les éloges, des pianistes du calibre de Leon Fleisher, qui est cité comme disant : «Dorothy est absolument extraordinaire dans son intuition du moment où vous avez de la douleur, de l’endroit où quelque chose que vous faites est mal, et de comment vous pouvez vous en débarrasser».

Principes

Les principes de l’Approche Taubman ne sont pas nouveaux. L’innovation de Taubman a été de codifier explicitement les mouvements presque invisibles sous-jacents à une technique libre et fluide, ce que de nombreux virtuoses adoptent intuitivement. Cependant, comme le pianiste russe Feinberg a déclaré, «l’intuition parfois ne suffit pas, et nous devons recourir à l’analyse consciente afin de discerner le simple à l’intérieur du complexe». Ainsi, Taubman construit une approche pédagogique systématique pour développer la coordination des mouvements, à travers un processus de «complexité qui conduit à la simplicité».

Le principe fondamental de l’approche Taubman soutient que «les doigts, la main et le bras fonctionnent toujours comme une unité synchronisée, avec chaque partie faisant ce qu’elle fait le mieux». Lorsque ce principe est examiné en détail, trois autres règles émergent:

  1. Le mouvement coordonné «permet aux articulations concernées d’agir au plus près du milieu de leur gamme d’action que possible». Ainsi, Ortmann a découvert que cela produit «un minimum de fatigue» et «une précision maximale du jugement kinesthésique». La tension augmente à mesure que le mouvement se rapproche des extrêmes.
  2. Dans le mouvement coordonné, chaque partie doit agir «au meilleur de son avantage mécanique». Par exemple, l’avant-bras déclenche le mouvement puisque le bras supérieur, plus large, est incapable de la vitesse de l’avant-bras.
  3. Le mouvement coordonné nécessite un effort minimum pour un résultat maximum, ce qui crée de la précision et de la liberté.

Contributions

L’une des principales contributions de Taubman fut d’attirer l’attention sur l’existence de troubles musculo-squelettiques liés au jeu et d’analyser leurs causes physiques liées au jeu à la fin des années 1960, bien avant que le grand public y soit sensibilisé dans les années 1980. Taubman a également constaté que le mouvement coordonné est thérapeutique, qu’il minimise ou soulage les problèmes. En développant un usage plus coordonné, les pianistes blessés non seulement ont surmonté leurs problèmes, mais ont également joué à un niveau plus élevé que celui précédant la blessure. Ceux qui n’ont jamais été blessés ont acquis un tout autre niveau de facilité. En outre, Taubman a découvert que «c’est le mouvement correct qui produit une technique remarquable, pas le développement musculaire». Taubman a également souligné le plaisir physique du jeu bien coordonné. Elle pensait que «si la sensation de jouer du piano n’est pas délicieuse et euphorique, vous faites quelque chose de mal».

Une des autres révélations de Taubman était que «la relaxation est le résultat, non la cause, du jeu correct». La relaxation excessive est lourde, ce qui rend la vélocité difficile. La relaxation peut aussi provoquer des tensions ailleurs, puisque plus d’énergie est nécessaire pour initier le mouvement, et que d’autres parties travaillent plus durement. Taubman préconisait un mouvement stimulant et fluide, à mi-chemin entre tension et relaxation.

Une prémisse sous-jacente à la pédagogie Taubman est que tous les problèmes techniques peuvent être résolus grâce à un diagnostic efficace, plutôt que par plus de pratique. Les problèmes des élèves sont dus à un manque de connaissances, plutôt que d’un manque de talent. Comme l’a dit Taubman, «Nous parlons de personnes dévouées, sérieuses et douées. Elles ne devraient avoir aucune raison de ne pas pouvoir faire ce qu’elles veulent faire».

(Extrait de Learning and Teaching Healthy Piano Technique: Training as an Instructor in the Taubman Approach. Disponible via www.theresemilanovic.com.)

Comment en savoir plus ?

Les outils et les idées de Dorothy Taubman sont accessibles à tout le monde. Les vidéos sont disponibles en ligne via www.golandskyinstitute.org et www.ednagolandsky.com. Bien qu’il n’y ait pas de substitut à des cours en personne, on peut accomplir beaucoup sur Skype.

Vous pouvez visiter www.theresemilanovic.com pour lire des articles sur l’apprentissage et l’enseignement de l’approche Taubman, les performances à venir et les ateliers Taubman en l’Australie.

Therese-MilanovicEcrit par:

Therese Milanovic

Therese est professeure de piano, concertiste et membre Associée de la Faculté de l’Institut Golandsky.