L’approche Taubman pour le piano

Chronique d’une blessure au piano (suite et fin)

Partie II

(La partie I de l’article «Chronique d’une blessure au piano» peut être trouvée ici).

Je n’ai pas terminé ma formation, mais ne voulais pas abandonner.

Je croyais fermement qu’une blessure au piano comme la mienne était quelque chose de réversible, que je pourrais arriver à jouer à nouveau. Même après d’avoir épuisé toutes mes ressources, une vie de recherche me semblait plus tolérable que renoncer. Et cela malgré le fait que j’avais devant moi un grand abîme d’incertitude.

Je continuais donc à travailler sur mon rétablissement, mais cette fois sans pression et sans répertoire très exigeant. Je pouvais continuer à mon propre rythme et c’est un point qui a joué en ma faveur. Je continuais à lire tout ce que je pourrais trouver sur le piano et sur le corps, à regarder des vidéos de grand pianistes, à consulter d’autres pianistes pour me laisser guider par leurs conseils. Je suis devenu mon propre rat de laboratoire, je voulais expérimenter moi-même chaque découverte. J’étais ouverte à tout, et évidemment j’ai trouvé de tout dans mes recherches. Mais le temps passait et en dehors de quelques hauts et bas, il n’y avait pas d’amélioration significative.

Un jour, par hasard, j’ai trouvé sur Internet un documentaire sur une professeure américaine qui avait développé une approche technique fondée sur les principes biomécaniques du mouvement. Et ce fut une vraie trouvaille! Non seulement cette approche permet d’acquérir une technique brillante et libre d’effort pour la personne qui l’étudie, mais elle a aussi été appliquée avec succès dans la réhabilitation des personnes ayant des blessures résultant de la pratique du piano. L’enseignante était Dorothy Taubman, une femme avec une personnalité charismatique et exubérante.

Le documentaire s’intitule Choreography of the Hands : The Work of Dorothy Taubman (Taubman Institute 1986) (La chorégraphie des mains: Le travail de Dorothy Taubman). Il est disponible sur ce lien, avec des sous-titres en français.

Tout au long de la vidéo, on peut voir des témoignages de pianistes qui ont subi une blessure de ce type, et je me suis reconnue dans chacune de ces histoires. La chose étonnante était qu’ils avaient tous réussi à se rétablir. En même temps que je le regardais, j’oscillais entre curiosité et incrédulité. Mais je ne pouvais nier que beaucoup des idées de cet enseignant attiraient fortement mon attention. Par exemple, elle fait des déclarations telles que :

  • Quand un élève n’arrive pas à développer les compétences nécessaires pour jouer du piano, il est suppos,é à tort, manquer de talent, plutôt que manquer de connaissances.
  • Le travail de l’enseignant est de trouver les moyens pour que l’étudiant puisse obtenir les résultats souhaités.
  • Le piano est accessible à toute personne qui peut comprendre les principes du mouvement coordonné.
  • Jouer du piano correctement est une activité physique agréable et devrait être ressenti comme quelque chose d’euphorique.

Mme Taubman a développé son approche après des années d’observation et d’études, pour arriver à synthétiser de manière simple et claire les principes du mouvement coordonné qui sous-tendent à la technique pianistique.

Je voulais en savoir plus. Au cours des mois suivants, j’ai cherché plus d’informations, mais je me suis vite rendu compte que tout cela était trop complexe à mettre en œuvre par moi-même, même en lisant beaucoup sur le sujet. Pour me faire une idée claire, j’avais besoin d’un professeur. Je suis donc entré en contact avec une professeure qualifiée qui se déplace en Espagne régulièrement et j’ai reçu mes premiers cours dès que possible.

L’expérience ne m’a pas déçue. Cette première rencontre m’a ouvert une toute nouvelle perspective sur la technique du piano. La professeure m’a expliqué quelques principes du mouvement coordonné: Elle m’a appris à garder la main dans sa position naturelle à chaque instant, les doigts dépliés sans les ouvrir de manière forcée; Elle m’a également appris que les doigts, la main et le bras fonctionnent ensemble comme une unité; et que le plus efficace est de toujours rester dans l’amplitude moyenne de mouvement des articulations.

Cela m’a fait comprendre combien j’avais forcé mon corps à fonctionner d’une manière pour laquelle il n’a pas été conçu. L’ironie de tout cela est que depuis des années j’avais travaillé d’innombrables exercices qui contredisaient ces principes, puisque la plupart des méthodes traditionnelles pour développer la technique sont ainsi (Hanon, Czerny, Pischna, etc.).

Il n’est donc pas surprenant que cette approche entraîne une certaine controverse. Si les principes de Mme Taubman sont corrects, une grande partie des bases de la technique de piano classique sont fausses (Golandsky, 2012).

Mais ma situation allait au-delà de la controverse. Jouer, ou ne pas jouer, telle est la question! Cette professeure était la seule personne qui m’avait donné une évaluation précise de ce que je faisais avec mon corps en jouant. J’étais fascinée par sa capacité à diagnostiquer. Parfois des corrections étaient si minuscules qu’elles auraient pu échapper à un œil non averti, mais ces différences se ressentaient intérieurement avec une grande clarté. Ce qui gagna ma confiance de façon définitive furent les bons résultats dont j’ai pu faire peu à peu l’expérience en travaillant avec sa méthode.

Le gros inconvénient était que nous vivions dans des pays différents et que je ne pouvais assister qu’à deux ou trois fois par an. Je passais trop de temps sans la supervision nécessaire et le progrès a été lent. Si je voulais étudier cette approche sérieusement, je n’avais pas d’autre choix que de poursuivre des cours par vidéoconférence, et il n’était pas clair pour moi que cela fonctionnerait. Ce fut un moment délicat car mes doutes et mes craintes ont été plus exacerbées que jamais. Finalement, sans preuve ni garanties, je me suis décidée à étudier l’approche Taubman sérieusement, car j’ai compris que seul mon engagement pourrait créer une chance de rétablissement.

Il est difficile d’apprendre le piano à distance, encore plus quand il s’agit de mouvements complexes qui nécessitent une grande précision. Cela fut possible en grande partie grâce à l’expertise et l’expérience de ma professeure qui fut capable de me guider parfaitement.

Au fil du temps, j’ai découvert beaucoup de choses. J’ai commencé à comprendre les principes anatomiques et biomécaniques du corps et grâce à cela, tous mes problèmes se sont révélés l’un après l’autre. Je pouvais voir les causes, souvent invisibles, qui les ont provoqués. Les pièces du puzzle ont commencé à tomber en place.

Chaque fois que j’arrivais à intégrer un nouvel élément de cette approche à ma technique, un étonnant bond qualitatif avait lieu.

J’ai enfin obtenu les réponses que j’avais désirées tout au long de ma carrière. Maintenant, je sais que les insécurités étaient légitimes et qu’il y avait des moyens pour y faire face et les résoudre. Il fut pénible de se rendre compte que beaucoup de mes problèmes avaient été causés par les conseils peu judicieux de certains de mes professeurs, conseils que j’avais suivis à la lettre et sans question. Je dis cela sans aucune trace de reproche, bien qu’avec tristesse. Il n’y a pas de coupable à désigner quand la responsabilité est diluée dans une chaîne de bonnes intentions.

La douleur dans mon bras a également été atténuée, tandis que les périodes d’inconfort se sont espacées progressivement. En outre, en même temps que mes mouvements ont retrouvé leur naturalité perdue, jouer est redevenu une activité agréable. Parfois, les sentiments que j’éprouvais en jouant du piano durant mon enfance me revenaient. Alors que je retirais toutes ces couches de tension et d’incoordination apprise, je pouvais me reconnaître de plus en plus dans mon jeu. Ce fut une rencontre avec moi-même à travers le piano.

Neuf ans ont passé depuis que j’ai ressenti les premiers symptômes de douleur. Ce furent neuf années de recherche et d’incertitude, de frustration et de souffrance, jusqu’à ce que je puisse finalement mettre fin à cette aventure. Deux ans seulement après avoir décidé d’étudier sérieusement l’approche Taubman, j’étais en mesure de jouer un répertoire exigeant sans douleur ou inconfort et j’ai réussi à passer mon examen de fin de carrière avec succès.

La rééducation n’est pas un processus facile, il y a des hauts et des bas, mais les bons moments finissent par prendre le pas sur les mauvais, et aujourd’hui je profite du piano comme jamais.

Maintenant je peux jouer sans douleur ni restrictions, et ma technique est beaucoup plus forte qu’auparavant. Les gammes, octaves et trilles ne sont plus une limitation, et en étudiant moins je peux obtenir de meilleurs résultats. Chose étrange, je n’ai même pas besoin de m’échauffer avant de jouer. Je profite aussi beaucoup plus de l’enseignement et mes élèves bénéficient également de tout ce que j’ai appris. Quand je vois tout ce que m’a donné l’Approche Taubman et combien de personnes pourraient bénéficier de son étude, il me semble incompréhensible qu’elle soit encore si peu connue en Europe.

Je souhaite raconter mon histoire pour valider l’expérience de ceux qui traversent une situation similaire. Trois musiciens sur quatre est un chiffre très élevé, derrière lequel se cache beaucoup de souffrance. Bien sûr, il existe de nombreux types de blessures, et pour certains ce n’est qu’un revers qui est résolu avec un peu de repos. Mais pour d’autres, cela peut signifier la fin précoce d’une carrière qui a été menée avec une grande vocation.

Je veux dire que la rééducation est une solution parfaitement envisageable. Parfois, il suffit de changer quelque chose qui fonctionne mal pour que tout revienne à la normale ; parfois le désordre est si grand qu’il est préférable de réapprendre certains aspects de la technique à partir des bases. Ce n’est pas un processus fastidieux, mais un travail intéressant et clarifiant. Et les efforts sont récompensés bien au delà de l’investissement.

Je le dis avec une grande conviction : Avec l’aide d’un professeur qualifié, avec une pratique consciente et une résolution personnelle, la rééducation est possible.

References:

Golandsky, E. (2012). Why do some people find the Taubman Approach controversial?. From: https://ednagolandsky.com/2012/07/01/why-do-some-people-find-the-taubman approach-controversial/ (accessed 05/04/2016).

Taubman Institute (1986). Choreography of the hands: The work of Dorothy Taubman.
Amherst, MA: Sawmill River Productions. From: https://youtu.be/suwdLaYBaAs (accessed 01/04/2016).

La chorégraphie des mains: Le travail de Dorothy Taubman

Ceci est la première partie d’un documentaire sur l’Approche Taubman pour piano intitulé « Chorégraphie des mains: Le travail de Dorothy Taubman » (Choreography of the Hands: The Work of Dorothy Taubman).

Dorothy Taubman était une pianiste et pédagogue américaine qui a développé pendant plus de 60 ans une méthode pour jouer du piano avec facilité, sans tension, fatigue ou douleur.
Elle combinait une profonde compréhension des aspects anatomiques et physiologiques de l’organisme avec des connaissances approfondies sur les possibilités mécaniques du piano.

Son système est une des contributions les plus importantes à la pédagogie du piano du XXe siècle.

Elle disait les choses ainsi:

Le corps est capable de remplir toutes les exigences pianistiques sans une violation de sa nature si les moyens les plus efficaces sont utilisés; la douleur, l’insécurité et le manque de contrôle technique sont des symptômes d’incoordination plutôt que d’un manque de pratique, d’intelligence ou de talen.

“The body is capable of fulfilling all pianistic demands without a violation of its nature if the most efficient ways are used; pain, insecurity, and lack of technical control are symptoms of incoordination rather than a lack of practice, intelligence or talent”.

Dorothy Taubman

J’ai ajouté des sous-titres en français pour le rendre accessible à ceux qui ne parlent pas anglais. (Si les sous-titres ne s’affichent pas par défaut, activez-les manuellement)

Références:

Taubman Institute 1986. Choreography of the hands: The work of Dorothy Taubman.
Amherst, MA: Sawmill River Productions. From: https://youtu.be/suwdLaYBaAs (accessed 01/04/2016).

Vivien Schweitzer. April 16, 2013. Dorothy Taubman, Therapist for Pianists, Dies at 95. The New York Times. From: http://www.nytimes.com/2013/04/17/arts/music/dorothy-taubman-95-dies-helped-pianists-avoid-injuries.html (accessed 01/04/2016).

Le secret pour acquérir de la vitesse sur le piano

Dans cette vidéo, Edna Golandsky explique quel est le secret pour acquérir de la vitesse sur le piano selon l’approche Taubman.

Nous pouvons considérer deux types de vitesse de jeu:

  • La vitesse avec laquelle les doigts font descendre les touches (verticale).
  • La vitesse avec laquelle le bras se déplace de touche en touche (horizontale).

Normalement, le développement de la vitesse au piano est associé par erreur à l’habileté de descendre les doigts rapidement sur les touches.

En l’absence d’explications, cela peut être contre-intuitif car il semble logique que pour jouer plus vite, on doit aussi bouger les doigts plus rapidement.

vitesse sur le piano

Photo: Winnie Liu

Il est donc intéressant de comprendre que si on descend la touche trop rapidement, on va obtenir un effet de rebond, dans lequel la touche nous renvoie l’impact avec une force égale. Ce rebond détruit le legato entre les doigts et rend impossible l’obtention de vitesse. En descendant les doigts rapidement, nous pouvons avoir la fausse impression que nous jouons plus vite, mais en réalité nous créons, sans le savoir, une barrière de vitesse. Donc, plus on descend les doigts rapidement, plus il devient difficile de prendre de la vitesse au piano.

Je dois souligner que ces deux vitesses doivent être parfaitement synchronisées, sinon le bras et les doigts se déplacent indépendamment les uns des autres. Lorsque les doigts et le bras se déplacent uniformément, les vitesses horizontale et verticale sont synchronisées, permettant que les doigts descendent avec l’appui du bras derrière chaque note.

Dorothy Taubman (1988) fait allusion à ce sujet dans son texte intitulé «A teacher’s perspective on musicians’ injuries» dont je souhaite citer le passage suivant:

«Il y a aussi la question de la vitesse. Les exercices sont assignés pour développer la force dans les muscles des doigts afin qu’ils puissent se déplacer rapidement. Le jeu rapide dans les touches produit des sons puissants, mais pas des tempos plus rapides. Au contraire. La recherche d’ Ortmann en utilisant des caméras à grande vitesse a montré qu’une action de doigt rapide sur les touches ralentit effectivement le tempo. Le doigt frappant avec force contre la touche rebondit de la touche plusieurs fois avant que la touche ne soit complètement enfoncée. Le pianiste se demande pourquoi la vitesse ne vient pas, même si il travaille dur pour bouger ses doigts aussi rapidement que possible.

Il est donc clair que si l’on doit éviter le rebond, il doit y avoir une limite à la vitesse du doigt. Vous pourriez être surpris de voir combien beaucoup moins de vitesse du doigt est nécessaire pour jouer à haute vélocité. Ce qui a fait défaut jusqu’ici est que le tempo d’un morceau vient de la vitesse horizontale, le mouvement de touche en touche, pas la vitesse verticale.

Le mouvement horizontal est produit par les mouvements des bras qui emmènent les doigts sur le clavier. Le bras peut faire ceci facilement et à des vitesses élevées. La distance que le doigt doit parcourir pour enfoncer une touche est si petite qu’avec la vitesse horizontale, cela ne gêne pas du tout lorsqu’il se déplace un peu plus lentement. Rappelez-vous que les pianistes peuvent jouer vite et en douceur en même temps, et que la touche doit descendre plus lentement pour jouer doucement.

S’entraîner à améliorer la vitesse de ses doigts est un exemple de l’approche de gymnastique qui surmène toujours les doigts, créant des mouvements spasmodiques et un sautillement qui interfèrent avec la participation du bras. Le résultat malheureux de cela est le risque de blessure pour les doigts et les mains de par l’action inutilement forcée du doigt. Un autre sous-produit des doigts rapides est un jeu avec des notes à peine jouées ou manquées. Le pianiste n’a pas vraiment manqué la touche, mais a été projeté par elle. Cela lui fait manquer la touche complètement, frapper la touche suivante ou jouer les deux touches simultanément. Tout se passe si vite que le pianiste ne se rend pas compte que le contact initial a été fait avec la bonne touche.

Si nous ne pouvons pas utiliser beaucoup de vitesse de doigt dans la touche, comment pouvons-nous obtenir de la puissance? Pour commencer, les doigts eux-mêmes sont petits et légers; leurs muscles ne sont pas équipés pour utiliser la force. Le poids du bras, cependant, est tel qu’il peut facilement transmettre la puissance dans les touches sans être projeté comme le sont les doigts». (p.147-148)

(S’il vous plaît activez les sous-titres en français s’ils ne sont pas affichés par défaut).

Références :

Golandsky E. The Golandsky Institute. (2008). « Playing with Speed an excerpt from the Taubman 10 DVD Series ». From: https://youtu.be/16LNzkafBWw

Taubman D. (1988). “A teacher’s perspective on musicians’ injuries”, in Roehmann F. L., Wilson F.R., (editors) “The Biology of Music Making”,: MMB Music, pp. 144-153, (St. Louis, 1988).

 

La technique pour jouer des octaves au piano

Dans cette vidéo, Edna Golandsky montre comment jouer des octaves au piano de manière solide et libre grâce à l’approche Taubman.

Cela nécessite trois éléments:

  1. L’utilisation de la gravité qui fait que le bras tombe très librement. Cela explique aussi pourquoi la chute libre n’est pas la même chose que la relaxation.
  2. Le rebond qui permet l’exécution du mouvement de sortie de la touche

Grâce à l’utilisation de la gravité et le rebond, les muscles sont utilisés au minimum dans les deux sens.

  1. Le mouvement minimum requis. Une fois que les deux éléments précédents sont installés dans la technique, il faut travailler activement pour minimiser le mouvement sans perdre sa qualité et obtenir la légèreté et la vitesse nécessaires.

(S’il vous plaît activez les sous-titres en français s’ils ne sont pas affichés par défaut).

Références :

Golandsky E. The Golandsky Institute. (2008). « Perfect Octaves – an excerpt from the Taubman 10 DVD Series ». From: https://youtu.be/qwY-pDnmSiE

 

La rotation dans le jeu des gammes

Cette vidéo présentée par Edna Golandsky montre l’utilisation correcte de la rotation sur la gamme de Do majeur selon l’Approche Taubman.

Certains des mouvements sous-jacents des gammes sont des mouvements de rotation de l’avant-bras.

Il existe deux types de rotation:

  • La rotation double – se compose de deux mouvements: le mouvement préparatoire et le mouvement d’attaque de la note. Tous les mouvements préparatoires sont effectués dans la direction opposée à la note jouée.
  • La rotation simple – le mouvement préparatoire provient de la poursuite du mouvement de la note précédente, comme dans les trilles et les trémolos.

Ce sont les mouvements de rotation des gammes:

gamme-do-taubman

La rotation de l’avant-bras combine l’agilité des doigts avec le soutien et poids du bras. Au fil du temps les mouvements sont réduits au minimum pour être pratiquement invisibles.

Je vous conseille de ne pas essayer d’apprendre ces mouvements sans la supervision d’un enseignant qualifié.

(S’il vous plaît activez les sous-titres en français s’ils ne sont pas affichés par défaut).

Références :

Golandsky E. The Golandsky Institute. (2008). « Scales: Correct Use of Rotation – an excerpt from the Taubman 10 DVD Series ». From: https://youtu.be/Xkc4Uz387kc

 

Enfoque Taubman

L’approche Taubman ou pourquoi souffrir quand ce n’est pas nécessaire ?

Au cours des 20 dernières années, de nombreuses conférences et publications ont traité des sujets relatifs aux divers maux qui affligent les musiciens. Plusieurs médecins se spécialisent maintenant dans le traitement des tendinites et autres «bibittes » des musiciens. Des écoles de pensée, parfois opposées pour ce qui est de la résolution de ces problèmes, soulèvent une controverse souvent véhémente. Dorothy Taubman s’est retrouvée à maintes reprises dans la ligne de mire de cette controverse. Elle a dévolu plus de 50 années de sa vie à l’étude et à la recherche d’une technique pianistique qui peut sembler révolutionnaire mais qui découle d’une grande logique.

Chaque été pendant deux semaines, de 100 à 150 pianistes (âgés de 15 à 80 ans) viennent profiter des enseignements de Mme Taubman et de son assistante, Edna Golandsky. La session se déroule à Amherst au Massachusetts. Chaque matin, les participants assistent à une conférence de Mme Golandsky sur l’approche Taubman. L’après-midi, Mme Taubman prend la relève avec des masterclasses et les nouveaux acquis sont renforcés en leçon privée avec un des professeurs de l’institut.

Le problème des pianistes souffrant de divers maux n’est pas nouveau : Robert Schumann, Clara Schumann, Scriabin, Paderewsky, Rachmaninoff, Schnabel et même Chopin se sont plaints à un moment ou à un autre de blessures aux mains. Ce n’est probablement pas simplement par «originalité » ou par choix philosophique que Glenn Gould a décidé d’arrêter sa carrière de concertiste. Les premiers pianistes à avouer leurs problèmes physiques ne l’ont fait que très récemment, que l’on pense à Leon Fleischer ou Gary Graffman.

Mme Taubman reste persuadée que les tendinites et le syndrome du tunnel carpien pourraient être évités si les musiciens apprenaient à faire les mouvements corrects. Sa technique est basée sur l’élimination des mouvements de bras et de mains qui font travailler les muscles dans le sens contraire de leur spécificité anatomique. Comprendre les principes qui vont permettre aux pianistes de surmonter leur douleur et d’éviter les blessures n’est que le premier pas d’un processus ardu. Pour Mme Taubman, la technique et la musique sont indissociables : les couleurs, la pulsation, la production d’une belle sonorité, le phrasé, l’intonation sont tous produits par notre corps. Malgré toute la réflexion et tous les sentiments au monde, si le corps ne fait pas ce qu’il doit, le travail restera inutile.

Afin de cerner un peu mieux l’approche Taubman, je me permets maintenant de traduire et d’adapter quelques passages essentiels de son texte « A teacher’s perspective on musicians’ injuries » (le point de vue d’un professeur sur les blessures de musiciens).* Mme Taubman travaille présentement à un livre complet sur sa méthode (il compte déjà plus de 1000 pages) et a enregistré une série de 5 cassettes vidéo qui expliquent (avec exemples musicaux à l’appui) les différents aspects clé de sa technique.

« Dans mes nombreuses années d’enseignement, je n’ai jamais rencontré de pianistes blessés par une pratique excessive de l’instrument, seulement par une mauvaise pratique de l’instrument.

Le domaine de l’enseignement repose sur la tradition orale transmise de professeur à élève à travers les générations. Le chaos pédagogique se poursuit depuis le XVIIIe siècle. Clementi ordonnait à l’élève de tenir sa main et son bras en position horizontale, mais Hummel et Bertini préféraient la main tournée vers l’extérieur. Clementi disait que la paume de la main devait demeurer stationnaire avec une action des doigts seuls. Dussek disait que la main devait pencher du côté du pouce, Hummel la voulait vers l’extérieur. Kelkbrenner disait que le secret pour jouer des octaves était un poignet libre mais Moscheles recommande un poignet tendu. Comment s’y retrouver ?

Les outils nécessaires à la création musicale sont d’abord physiques. Nos mains fonctionnent selon des principes physiologiques. L’instrument possède ses propres principes mécaniques. Quand toutes ces équations sont mises ensemble, une technique scientifique surgit et permet au corps de fonctionner parfaitement sans tension.

La position de base

Prenons la position de base des doigts. Encore aujourd’hui, la position des doigts ronds est celle qui est le plus enseignée. Elle fait tellement partie des «acquis » que lorsque Horowitz a joué pour la télévision, les musiciens furent horrifiés par ses doigts allongés. Réfléchissons un moment au fait qu’Horowitz a joué pendant plus de 80 ans sans aucune blessure. Pourquoi ?

Arrondissez vos doigts ; levez-les et baissez-les rapidement. Maintenant ouvrez vos doigts dans une position naturelle et déplacez-les. Vous sentirez la différence dans la liberté de mouvement. Arrondissez maintenant vos doigts et bougez votre main de haut en bas rapidement. De nouveau, ouvrez la main et refaites le même geste. La différence est sans équivoque. Laissez-moi expliquer pourquoi. Dans ces mouvements nous avons utilisé deux séries différentes de muscles : les muscles longs qui s’allongent à partir du bout des doigts jusqu’au coude et les muscles courts du bout des doigts à la base de la main. Ceci crée la limitation de mouvement que vous avez expérimenté dans les mouvements de bras et de doigts. Quand les doigts tombent naturellement sans aucun modelage anticipé de la position, ils tombent naturellement à partir des jointures. Ce mouvement est accompli par le flexeur court, un muscle qui ne s’étire pas par-dessus le poignet. Le danger d’une tension constante est aggravé quand plus de puissance de jeu est nécessaire.

Au sujet du 4eme doigt

Quand le poids du bras est balancé également sur chaque doigt, tous les doigts se sentiront forts, libres et en contrôle, le 4eme doigt ne sera pas perçu différemment. Quand il jouera, on le sentira «individualisé » parce que le bras lui donnera de la puissance et l’élimination de la tension lui donnera de la vitesse.

Au sujet des exercices d’extension

Déjà, en 1928, dans son livre «The physiological mechanics of piano technique », Ortmann remarque que les problèmes d’élévation des doigts ne peuvent être réglés par des années de pratique répétée. Les exercices d’extension sont dangereux : peu importe la largeur de la main, la distance entre les notes est souvent trop grande. Ouvrez vos doigts le plus possible ; sentez la tension. Maintenant ouvrez vos doigts jusqu’au point de confort. De façon évidente, les distances latérales ne peuvent être effectuées par les doigts, le bras doit fournir les mouvements latéraux nécessaires, libérant ainsi les doigts d’une extension inutile.

Au sujet de la vitesse d’exécution

Il y a une limite à la vitesse avec laquelle le doigt peut entrer en contact avec la note. La vitesse vient du mouvement horizontal (le mouvement d’une note à l’autre) et non du mouvement vertical. Le mouvement horizontal est produit par les mouvements du bras qui amènent les doigts sur les touches, mouvement facilement réalisable à grande vitesse. La distance que doit parcourir le doigt pour appuyer sur la note est tellement petite que même si le doigt bouge un peu plus lentement, la vitesse horizontale n’en est pas affectée. Souvenez-vous que les pianistes peuvent jouer vite et doux et doivent abaisser les notes plus lentement pour jouer plus doux. Le poids du bras peut transmettre son efficacité dans les touches sans que les doigts ne rebondissent sur le clavier.

Au sujet des doigtés

Mon expérience m’a révélé que l’extension maximale de la main est une des causes majeures de blessures. Une approche plus réaliste du legato se doit d’être développée. Notre tâche étant de créer des illusions auditives, et non pas de gagner des concours de gymnastique, nous devons donner l’impression du legato. Les doigtés dans la plupart des éditions démontrent un manque évident de compréhension des limitations physiques inhérentes à l’exécution d’un passage. Les doigtés qui étirent la main au-delà de sa limite devraient être changés. Si un passage semble inconfortable, la première chose à faire est d’essayer de trouver un meilleur doigté. Un bon doigté permet aux doigts et à la main de se déplacer latéralement, aisément, facilitant la vitesse et l’ensemble d’exécution.

La grande musique que nous étudions, créée par des génies, renferme plus de profondeur que toutes les autres formes d’art. Je me souviens d’une étude expliquant que le cerveau était plus actif pendant qu’on jouait une simple sonate de Mozart que pendant toute autre activité. Il devient alors logique que les outils nécessaires pour réaliser la profondeur de la musique soient également complexes. »

« Reproduire l’émotion » ajoute Mme Golandsky dans le même esprit «est une technique artistique, pas une technique physique. » Un danseur qui souffre ne danse pas mieux, il prend sa retraite plus tôt. Si bouger devient plus facile, le jeu sera plus aisé et si le jeu est plus naturel, exprimer l’essence de la musique le devient également.

*-extrait de The California Music Teacher, vol. 15, No 3, printemps 1992.

Lucie Renaud

Référence:

http://www.scena.org/lamuse/lm1-1/TAUBMANn.html