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La position des poignets - Liszt

La position des poignets au piano

Il ne fait aucun doute que la position du poignet est un aspect très important de la pratique du piano.

Une utilisation sensible des poignets ajoute de l’expression à nos mains, à nos gestes. C’est également le cas au piano. Mais les poignets jouent aussi un autre rôle très important qui est de donner de la stabilité aux doigts afin qu’ils puissent se déplacer librement.

Mais avant d’entrer dans les détails, je vous ai préparé une sélection d’images de quelques pianistes (plus ou moins au hasard) pour comparer la position de leurs poignets:

Je ne voulais pas que cette sélection d’exemples soit une succession d’images statiques. La position des poignets sur le piano change constamment. La technique doit être pensée en mouvement. Par conséquent, toute personne qui le souhaite peut suivre le lien de l’une des images pour regarder le jeu du pianiste en vidéo. Et pendant qu’on y est, peut-être pour essayer d’analyser comment leurs poignets se comportent.

La position neutre

La grande majorité des pianistes jouent en ajustant la position des poignets à chaque situation ou texture musicale. Par exemple, le poignet se soulève plus pour jouer des octaves ou des accords larges que pour jouer des notes individuelles. (Ceci est utile parce que la flexion du poignet fonctionne en synergie avec l’extension des doigts).

Cependant, il y a une position de base qui revient toujours, c’est la position neutre.

Cela peut sembler assez clair, mais au cours de mes études j’ai reçu des recommandations très contradictoires en ce qui concerne la position de base des poignets, qui ont même parfois été nuisibles. Je ne pense pas être la seule, d’où ma motivation pour le partage de ces informations.

Position neutre au repos.

La position neutre peut être observée lorsqu’on laisse reposer les bras de chaque côté du corps. Le dos des mains forme une ligne droite avec l’avant-bras et la main est correctement alignée. Cette position d’effort minimum permet une utilisation plus équilibrée des muscles fléchisseurs et extenseurs de l’avant-bras et soutient les mouvements corrects des doigts pour jouer le piano.

(Je tiens à souligner rapidement qu’il est important de s’asseoir à la bonne hauteur pour maintenir cette position au piano).

Pour apprendre à jouer en faisant bon usage des poignets, la première chose est d’expérimenter le confort de jouer avec chaque doigt en gardant vos poignets dans une position neutre. (Pour l’apprendre, il faut toujours être guidé par un professeur). Plus tard, on apprend aussi les gestes du bras, si caractéristiques de la technique de piano, qui mobilisent les poignets et nous donnent de l’expressivité.

Les gestures en arc

Lors des mouvements, les poignets exécutent ce que certains pianistes appellent des « cercles du poignet » ou même des « rotations du poignet ». Ces termes sont discutables. Puisque comme le dit Tobias Matthay (tel que cité dans Chiantore 2001, p. 651), il semble important d’avoir une carte correcte du corps pour différencier le mouvement de la partie qui le produit, je préfère les appeler des gestes d’avant-bras en arc. C’est une distinction subtile, mais plutôt que des cercles, ce sont des arcs englobant une série de notes dans un geste, non pas effectués à partir du poignet mais de l’avant-bras.

Le poignet n’est pas un muscle. C’est une articulation. En fait, c’est une structure de plusieurs articulations. Par conséquent, le mouvement ne démarre pas du poignet, c’est une conception inexacte du point de vue morphologique. Le mouvement commence à partir de l’avant-bras, et parfois ce mouvement se manifeste dans le poignet, mais cela ne signifie pas que le pianiste bouge les poignets. Ceci est l’un des paradoxes des « octaves du poignet » (Stannard, 2014).

L’amplitude de mouvement des poignets ne doit pas dépasser la gamme moyenne. Autrement dit, les gestes ne doivent pas amener les poignets ni trop haut ni trop bas. Tout mouvement dans la gamme extrême d’une articulation devient plus lent et plus difficile. En outre, le poignet est comme un goulot d’étranglement, où passent plusieurs tendons et le nerf médian. En s’éloignant de la gamme moyenne, il se produit des frictions qui peuvent être très dommageables au fil du temps et de la répétition.

J’ai dit que les poignets doivent assurer la stabilité aux doigts. Des poignets trop détendus donnent des doigts trop tendus. Ce principe est anatomique. Pour qu’une partie du corps se déplace librement, il en faut une autre qui assure la stabilité. Par conséquent, prendre à la lettre les conseils de détendre les poignets peut être contre-productif. L’assouplissement des poignets est le résultat de l’alignement et de la coordination. Ce n’est pas la cause, c’est la conséquence.

Les exceptions

Pour en revenir aux images de tous ces pianistes, nous avons vu que les poignets respirent avec la musique, font des arcs dans l’air, des vibrations, mais toujours en revenant à la position neutre. On peut dire qu’ils y restent la plupart du temps.

Sur les 60 pianistes que j’ai sélectionné, seuls deux ne reviennent pas à cette position de neutralité quand ils jouent. Ivo Pogorelich est l’un d’entre eux. Son image est la première de la ligne 7.

Ivo Pogorelich

Il y a une vidéo qui attire vraiment mon attention, où apparaissent Pogorelich et Aliza Kezeradze, son professeur et épouse bien aimée. La vidéo est en anglais et croate, avec des sous-titres anglais. C’est un peu tiré par les cheveux, mais ça peut nous aider à comprendre pourquoi Pogorelich joue avec les poignets si bas.

A partir de 4 :32 Kezeradze dit qu’avant de le rencontrer ses mains étant toujours très tendues, et elle explique:

4:32. Ses mains ne sont pas encore réglées.  C’est la maladie de tous les pianistes au début.

4:41. La main est toujours tendue et ne devrait pas l’être. Elle doit toujours être libre.

4:48. Liszt disait, « le pianiste devrait voir un pli ici tout le temps » (pointant le dos de son poignet).

4:58. Ce sont les bases. Le bras complètement libre, sans un gramme de poids.

5:04. Toute la force est dans les doigts. Dans les muscles des doigts (en faisant une main de griffe).

Kezeradze lui a donc enseigné expressément cette position avec des poignets aussi bas. Elle exerça une grande influence sur sa vie, il est donc très possible que ce soit l’une des raisons de sa technique particulière.

Etant une héritière de la tradition Liszt-Ziloti, son assertion que selon Liszt les poignets doivent rester avec ce degré d’extension est assez surprenant pour moi. Comme je le sais (Chiantore, 2001 et Davison, 2006), Liszt s’asseyait assez haut, tiré vers l’arrière, et avec les poignets hauts. Il utilisait principalement dans sa technique l’attaque de poignet avec « main morte ». (Si quelqu’un sait pourquoi Kezeradze parle de cela, n’hésitez pas à m’écrire dans les commentaires).

liszt

Franz Liszt, couverture de ”The Graphic”, (1886).

Quoi qu’il en soit, aucune des deux options n’est saine pour la technique, poignets hauts ou bas.

Ce que dit la recherche

Il est intéressant (et en rapport avec ce sujet) que la position neutre du poignet est acceptée à l’unanimité dans le domaine de l’ergonomie pour l’utilisation du clavier et de la souris. Il existe de nombreuses études qui l’avalisent (Karwowski, 2006, p. 1395).

Dans le domaine du piano et de la prévention des blessures, il reste encore beaucoup de recherches à faire, mais j’ai trouvé cette étude sur les pianistes, précisément par rapport à la position du poignet : Wrist Positioning and Muscle Activities in the Wrist Extensor and Flexor During Piano Playing

La conclusion de l’étude dit ceci :

“La position neutre du poignet doit être recommandée pour réduire la surcharge musculo-squelettique pendant la pratique du piano”.

Donc, si cette technique est si mauvaise, pourquoi Pogorelich n’a pas été blessé?

Parce que selon Lister-Sink (2016) c’est un peu comme avec les fumeurs. Tous les fumeurs ne sont pas malades des poumons, mais il y a une corrélation directe entre la consommation du tabac et le cancer du poumon. De même, il existe une corrélation entre un mauvais alignement et le stress des articulations et des blessures au piano.

Je ne voudrais pas être mal comprise. Pogorelich est un grand pianiste que j’admire beaucoup. Il est un des grands pianistes de notre temps, peut-être un génie comme l’a dit Martha Argerich. Mais si un pianiste brise certaines règles et joue bien, cela ne signifie pas qu’il est nécessairement juste de faire la même chose que lui.

Ce n’est pas non plus raisonnable de nier les avantages surprenants que peut fournir une approche ergonomique et saine de la technique du piano, qui utilise le corps en accord avec son fonctionnement et non contre (Stannard, 2014).

Références:

Chiantore, L. (2001). “Historia de la técnica pianística”. Alianza Música.

Conable, B., Likar, A. (2009).“Move Well Avoid Injury: What Everyone Needs to Know About the Body”. (DVD). GIA Publications.

Davison, A. (2006). “Franz Liszt and the Development of 19th-Century Pianism: A Re-Reading of the Evidence”.  The Musical Times. Vol. 147, No. 1896 (Autumn, 2006), pp. 33-43.

Karwowski, W. (ed). (2006). ”International Encyclopedia of Ergonomics and Human Factors”. Volume 1. Second Edition. Taylor & Francis.

Lister-Sink, B. (2016). “FAQs | Pianists & The Lister-Sink Method for Injury Preventive Piano Technique”. The Lister-Sink Institute. Lewisville. From: https://www.lister-sinkinstitute.org/faq_questions.html

Mark, T. (2003). “What Every Pianist Needs To Know About The Body”. (A manual for players of keyboard instruments: piano, organ, digital keyboard, harpsichord, clavichord). Chicago, GIA Publications.

Mark, T. (2003). “What Every Pianist Needs To Know About The Body”. (DVD). Chicago, GIA Publications.

Oikawa N., Tsubota S., Chikenji T., Chin G., Aoki M. (2011). “Wrist positioning and muscle activities in the wrist extensor and flexor during piano playing”. Hong Kong Journal of Occupational Therapy, Volume 21, Issue 1, June 2011, Pages 41-46, ISSN 1569-1861. (http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S156918611100009X)

Pascarelli, E., Quilter D. (1994). « Repetitive Strain Injury: A Compter User’s Guide ». Wiley (February 15, 1994).

Putz-Anderson, V. (1988). “Cumulative. Trauma Disorder: A Manual for Musculoskeletal Diseases of the Upper Limbs”. Taylor & Francis.

Stannard, N. (2014). “Piano Technique Demystified. Insights into Problem Solving”. 2° Ed. Create Space.